Les paradoxes français en matière de GPA

Publié le 17 Nov, 2020

Interdite en France, la Gestation par autrui (GPA) s’y introduit pourtant  au fur et à mesure des offensives des cliniques. Betty Mahaur, pseudonyme de deux juristes engagés dans le droit de la famille et de la bioéthique, fait le point.

Gènéthique : Quelle est la situation en France concernant la GPA ?

Betty Mahaur : Elle est très claire : la France a dit non à la GPA. Le courant fondateur des trois lois bioéthiques de 1994, qui a affirmé le principe de l’indisponibilité du corps humain, a considéré logiquement qu’une femme ne pouvait pas prêter son ventre et remettre son enfant à un tiers, avec ou sans échange d’argent. C’est inscrit dans notre code civil, à l’article 16-7, dans le chapitre consacré au respect du corps humain. Des sanctions pénales sont prévues pour tous les maillons de la chaîne, jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

Et pourtant on voit aussi que la France subit des pressions en vue d’accepter, voire de légaliser la GPA. Dans le discours politique, la GPA est souvent réduite à une question sur la place de l’homosexualité dans la société, alors que les GPA concernent en majorité des couples hétérosexuels. Au niveau des juridictions ensuite, qui ont à traiter des années plus tard de l’épineuse question de la filiation des enfants nés de GPA. Les juges se retrouvent face à une situation de fait accompli avec des enfants élevés depuis longtemps par le couple client de prestations de GPA. Ils se prononcent trop tardivement sur le sort des enfants pour pouvoir le modifier, et ils ne se prononcent ni sur la mère porteuse, ni sur le système marchandisation du corps humain.

Pourtant, savez-vous à qui revient 60 à 80% du prix d’une GPA réalisée en Ukraine[1]? Aux intermédiaires : cliniques, assurances, avocats. Pour ces intermédiaires marchands, la France est un formidable marché qu’ils n’hésitent pas à courtiser via leurs sites internet, le recrutement de commerciaux français, la tenue de salons sur notre sol[2]… etc.

Dans un pays qui a dit non à la GPA, ce n’est pas cohérent.

G : Dans quel contexte international s’inscrit la GPA ?

BM : Dans un contexte économique, d’abord ! Depuis que les pays d’Asie comme l’Inde ou la Thaïlande ont fermé aux étrangers l’accès à leur GPA low-cost, les clients (en majorité occidentaux et chinois) se tournent vers des pays appauvris et plus proches, comme la Russie ou l’Ukraine. Dans ces pays-là, il faut compter environ 7 à 10 ans de salaire minimum local pour qu’une femme accepte de « louer » son corps. Or, pour un client occidental, cela représente souvent moins d’un an de salaire… Le système de la GPA repose sur les écarts de richesses, de sorte que certains parlent d’une véritable géographie de la misère[3].

Quant aux plus fortunés, ils vont s’offrir une GPA sur mesure dans un Etat complaisant des Etats-Unis comme la Californie. Le Canada et le Royaume-Uni, qui proposent des GPA plus encadrées et avec des tarifs réglementés, peinent à recruter des femmes pour être mères porteuses et les délais d’attente sont plus longs.

Des travaux d’harmonisation sont actuellement en cours au niveau de la Conférence de la Haye de droit international privé. Malheureusement, aux dernières nouvelles, celle-ci semble prendre exemple sur la problématique des adoptions transfrontalières, pour laquelle elle avait proposé avec succès une convention internationale en 1993. Elle souhaite proposer une « régulation ». Or, adoption et GPA sont très différentes ! Dans la GPA, on incite une femme à remettre l’enfant qu’elle a porté, ce qui est précisément ce que l’on essayait d’empêcher en matière d’adoption…La solution devrait donc être l’abolition des GPA, et non pas leur régulation.

Et d’un autre côté, on observe partout dans le monde des initiatives d’associations qui s’engagent sur le sujet. Le mouvement féministe CIAMS (Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution) appelle à l’abolition internationale de la maternité de substitution, de même que le mouvement « Stop Surrogacy Now ».

« Abolition » est le terme qui correspond le mieux, à mon sens, à ce que devrait être l’effort international. L’« exploitation reproductive » des femmes, qui deviennent un matériau de base pour leurs ovocytes comme pour la gestation, devrait nous faire honte, comme l’esclavage nous a fait honte.

G : On parle de « familles aimantes », mais aussi de trafics, quelle est la place des enfants dans ces pratiques ?

BM : Elle est très ambiguë : c’est d’abord un enfant qui est attendu depuis longtemps, pour lequel les commanditaires ont beaucoup engagé de temps, d’argent, d’émotion. Dans le discours des couples, on voit parfois que l’enfant est la pièce manquante d’un épanouissement, d’une reconnaissance sociale, d’un projet de couple ou de vie. Rien de spécial de ce côté, ces problématiques peuvent toucher tous les parents !

Mais ce qu’il y a de particulier à la GPA, c’est que le processus permet aux commanditaires de remplacer leur impuissance par une surpuissance à créer, non seulement un enfant, mais un enfant qui leur corresponde, leur ressemble, passe des tests de sélection et leur est « garanti » par un contrat. Si c’est choix complètement assumé par les plus cyniques[4], je pense que certains adultes ne se rendent pas compte de la terrible position démiurgique qu’ils occupent alors par rapport à l’enfant.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que les activités de GPA soient régulièrement accompagnées de dérives tout aussi graves : choix de l’embryon en fonction du sexe, abandon d’enfants nés avec un handicap, maltraitance de mères porteuses et des enfants…

On constatera en passant que c’est l’enfant qui porte les risques les plus importants dans l’exécution du contrat. Si le processus de GPA se passe mal – par exemple à cause d’une maladie ou de la fermeture des frontières pour cause de pandémie – c’est le nouveau-né qui se retrouve abandonné[5]. Les commanditaires peuvent être remboursés de la prestation défectueuse et ne sont pas souvent tenu de trouver une solution pour le nouveau-né.

Une autre particularité, c’est évidemment la présence de l’argent. Michael J. Sandel, professeur de philosophie politique américain, analyse mieux que moi l’impact de l’argent dans son livre « Ce que l’argent ne saurait acheter ». Il constate que l’introduction de l’argent dans une activité non commerciale modifie la nature du service rendu, créé un distinguo entre ceux qui peuvent payer et ceux qui ne peuvent pas… Et si c’est un enfant qui est au centre de la transaction, c’est pire. La place de l’enfant ne devrait jamais être dans une transaction financière.

G : La loi de bioéthique ne prévoit pas d’ouvrir la GPA en France, le péril est-il écarté ?

BM : Ce serait très naïf de le penser. D’abord, parce qu’au gré de la navette parlementaire, un amendement a proposé l’ouverture de la ROPA[6], qui est une GPA réalisée entre deux femmes dont l’une fournit ses ovocytes et l’autre son ventre. Absolument aucune différence dans le processus biologique avec les GPA qui font intervenir une femme « extérieure ».

Ensuite, parce qu’on constate que les médias abordent souvent la question en adoptant sans réserve le point de vue d’adultes déjà engagés dans des activités de GPA[7]. La discussion sur ces contrats impliquant femme et enfant, sur les violences médicales, sur l’émergence d’une classe de femmes « servantes » de la fertilité des classes aisées, est occultée. Il y a pourtant là des enjeux extraordinaires !

En plus des associations engagées spécifiquement sur les sujets de bioéthique, de nombreux acteurs, comme la Ligue des droits de l’homme, le Comité consultatif national d’éthique, et des politiques convaincus, ont exprimé des avis très réservés au sujet de la GPA.

Je ne peux que souhaiter qu’ils soient nombreux à défendre la condition des femmes et des enfants dans le débat public !

G : La Cour de cassation vient de prendre une décision concernant l’adoption d’un enfant né de GPA par le conjoint du père biologique. Quel est le contenu de cette décision ? Est-ce un nouveau pas vers l’acceptation de la GPA en France ?

BM : Il s’agit de deux arrêts (n°19-15.739 et n°19-50.042) qui concernent tous deux des pays de GPA low-cost : l’Inde et le Mexique. Dans les deux cas, un français célibataire conclut un contrat de GPA, respectivement en 2010 et 2015, semble-t-il. Puisque ces deux pays ont décidé de « gommer » la femme, quelques jours après l’accouchement, elle ne figure pas dans l’acte de naissance.

Et puis, cet homme se marie avec un autre homme en France, et ce dernier demande l’adoption plénière de l’enfant qui a à présent entre 5 et 10 ans. Attention, l’adoption plénière est plus grave que l’adoption simple : elle ne peut quasiment pas être annulée. L’enfant ne pourra plus jamais en demander la révocation. C’est pourquoi on s’assure normalement que les parents d’origine de l’enfant ont bien compris leur geste, ont accepté en connaissance de cause de s’effacer de la filiation, et que cette adoption est bien dans l’intérêt de l’enfant.

Et face à cette demande d’adoption plénière, les juges sont embarrassés : existe-t-elle, ou n’existe-t-elle pas, la mère ?

Si elle n’existe pas, pas besoin de lui demander son avis sur la filiation de l’enfant, pas besoin de rechercher son consentement. C’est la réponse que va adopter la Cour de cassation, qui indique que le juge n’a pas à vérifier plus loin que l’adéquation des documents à la législation indienne ou mexicaine. Et si ces documents ne parlent pas de la filiation maternelle, il n’y a pas à être plus curieux.

Cette jurisprudence est un pas de plus vers l’effacement de la mère. C’est l’inverse qu’avait requis le parquet, qui considérait à juste titre qu’un acte de « naissance » sans accouchement par une femme ne pouvait être que mensonger ! Ne parlons même pas de la vendeuse d’ovocyte, qui n’est quasi pas mentionnée.

Ces solutions ubuesques sont possibles seulement parce que la Cour de cassation a décidé de s’en tenir aux documents et aux textes, et non pas à la réalité des faits. L’article 47 du code civil lui donne pourtant la possibilité de s’intéresser au contexte dans lequel sont étables les actes étrangers : autres actes ou pièces, données extérieures, faits qui « ne correspondent pas à la réalité ». Or, quoi de plus réel qu’un accouchement ?

Le document devient une réalité plus tangible que l’accouchement…

[1] https://babygest.com/fr/gestation-pour-autrui-en-ukraine/#combien-coute-une-mere-porteuse-en-ukraine%e2%80%af

[2] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/au-salon-desir-d-enfant-la-gpa-mode-d-emploi-20200906

[3] https://www.marianne.net/politique/meres-porteuses-une-gpa-ethique-ne-peut-pas-exister-en-droit-francais

[4] https://thefederalist.com/2020/10/16/gay-multimillionaire-buys-the-best-looking-baby-in-the-world-from-a-surrogate/

[5] https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/societe/covid-19-comment-la-fermeture-des-frontieres-perturbe-lindustrie-de-la-gpa-118419

[6] https://www.lefigaro.fr/vox/politique/bioethique-qu-est-ce-que-le-dispositif-ropa-soupconne-d-ouvrir-la-voie-a-la-gpa-20200702

[7] https://collectif-corp.com/2020/08/12/communique-de-presse-depot-de-plainte-contre-france-televisions/

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