Loi de bioéthique et recherche sur l’embryon : le législateur va-t-il réguler ou régulariser ?

Publié le 12 Déc, 2019

Jean-Marie Le Méné, Président de la Fondation Lejeune était auditionné par la Commission de bioéthique du Sénat le 11 décembre dernier (cf. audition). Gènéthique relaie son intervention à propos de la recherche sur l’embryon humain, que la loi n’a, au fil des ans, cessé de fragiliser.

 

Préalablement, permettez-moi de vous dire que j’ai eu l’honneur de suivre l’élaboration des quatre lois de bioéthique, dont trois révisions de la loi, mais cinq révisions du cadre de recherche sur l’embryon. Car il y a eu plus de révisions du cadre de recherche sur l’embryon que de lois de bioéthique. On a donc connu l’époque où la loi a interdit toute recherche (1994), puis a ouvert une dérogation temporaire (2004), puis a pérennisé cette dérogation (2011), puis a autorisé la recherche sous conditions (2013), puis a ouvert une dérogation dans la dérogation pour faciliter la recherche qui améliore la PMA (2016), puis supprime toute les conditions (2019-2020). Nous y sommes.

 

Il est important de souligner le sens de cette évolution qui témoigne d’un malentendu. On entend encore les parlementaires, les médias, les experts, se féliciter des garde-fous posés par la bioéthique considérée comme « la culture des limites ». Mais la saga législative française d’un quart de siècle démontre le contraire. On est passé de l’interdiction de la recherche sur l’embryon à l’interdiction de s’y opposer. Le respect de l’embryon qui était premier il y a vingt-cinq ans est devenu une exception au principe de son non-respect aujourd’hui. Les lois de bioéthique n’ont eu de cesse de déréguler la recherche sur l’embryon. Elles n’ont pas protégé la dignité de l’embryon, elles ont protégé l’intérêt des chercheurs, ce qui n’est pas exactement le discours tenu à l’opinion publique.

 

Ce changement de cap à 180° a une explication simple qui tient au regard de convoitise porté sur les embryons créés par FIV. La technoscience a fait croire à la médecine que si les embryons surnuméraires étaient inutilisés ils ne devraient pas être inutilisables, leurs cellules souches étant promises à un grand avenir thérapeutique. Et l’ABM, créée à cet effet, a autorisé des recherches. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Contrairement aux attentes triomphalistes, les espoirs placés dans les vertus curatives de l’embryon ont été déçus. C’est pourquoi, faute d’apporter la gloire, on demande à l’embryon humain de rapporter de l’argent. Objet de toutes les promesses, l’embryon est devenu objet de toutes les richesses. Hier l’embryon devait nous guérir de tout, aujourd’hui il doit nous servir à tout.

C’est à ce titre qu’il est demandé au législateur de faire disparaître les dernières protections formelles de l’embryon présentées comme la cause des échecs de la recherche. Certains chercheurs expliquent d’ailleurs leurs insuccès par l’insécurité juridique due à la fondation Lejeune quand celle-ci recourt au juge pour faire respecter les lois, des lois que ces mêmes chercheurs ont suscitées et réussi à alléger lors de chaque révision bioéthique mais qu’ils continuent à combattre comme si le domaine de la recherche était dispensé de règles. En somme, moins la recherche sur l’embryon apporte la preuve de sa pertinence, plus il faudrait l’affranchir de toute contrainte pour l’inscrire dans une finalité industrielle et commerciale, puisque cette reconversion fait l’objet de la revendication explicite de certains scientifiques qui n’hésitent pas à dire : « il ne faut pas rater le virage industriel » (Pr Peschanski)[1].

 

Or, on ne voit pas en quoi le fait de remplacer une autorisation de recherche par une simple déclaration du chercheur, de ne plus poursuivre de finalité médicale, de ne pas privilégier les iPS comme alternative aux cellules embryonnaire et l’embryon animal comme alternative à l’embryon humain[2], de ne plus produire le consentement des parents, de ne plus rendre compte de la traçabilité des embryons, de repousser la limite de conservation de l’embryon à 14 jours au lieu de 7, comme s’il s’agissait de se débarrasser de formalités absurdes, serait plus favorable aux découvertes scientifiques. En revanche, on voit bien que l’allègement législatif facilitera la production massive de cellules souches embryonnaires par des startups ou des sociétés à but lucratif dans une perspective utilitariste dont on ne comprend pas comment elle s’accommode du principe de non-patrimonialité du corps humain[3].

 

La recherche sur l’embryon n’est pas qu’une question de procédures, elle interroge les principes. On attend du législateur une réponse de sagesse qui ne peut pas être celle de la technique ni celle des industriels. Celui-ci va-t-il suivre la jurisprudence administrative qui a tendance à ne pas annuler des autorisations illégales de l’ABM délivrées à des scientifiques qui ne se cachent pas d’anticiper des transgressions nouvelles. Ainsi, l’article 17 du projet de loi supprime l’interdit de créer des embryons transgéniques. Cet interdit a été posé par la loi de bioéthique de 2011. Sa suppression permettra la création en laboratoire d’embryons génétiquement modifiés. Le ciseau génétique Crispr-Cas9 ainsi que la technique de transfert nucléaire dite de la « FIV à trois parents » pourront être expérimentés sur les embryons humains. Mais faut-il rappeler que le projet dit de « FIV à trois génomes » est déjà mis en œuvre en France, sans attendre la loi. Le législateur va-t-il réguler ou régulariser (ce qui relativise le rôle de la loi) ? L’utilisation de la technique de Crispr-Cas9 sur l’embryon est au cœur du débat (on se garde bien d’évoquer l’application de Crispr-Cas9 sur les cellules somatiques de l’adulte lors que les US en sont au stade clinique). Même si aujourd’hui, il n’est pas envisagé de réimplanter l’embryon ainsi modifié puisqu’un amendement a été voté à l’Assemblée pour l’interdire[4], il est évident que la question se pose comme en témoigne la tentation de réinterprétation plus libérale de l’article 13 de la convention d’Oviedo[5], seul dispositif international protecteur de l’embryon. Que pourrait-on faire contre une réaction en chaîne dans la nature si l’on se rendait compte des effets indésirables de la modification obtenue (on a beau jeu de montrer la Chine du doigt alors qu’on prend la même voie) ? Le forçage des gènes du moustique par Crispr-Cas9 vient de montrer des résultats imprévisibles[6]. Si l’on a pu parler de risque de scénario catastrophe dans le cas du moustique modifié qui défie les prévisions, qu’en sera-t-il pour l’embryon génétiquement modifié ?

 

Nul besoin d’être scientifique pour soutenir que l’embryon humain n’est ni un médicament, ni un réactif de paillasse, ni un substitut aux animaux de laboratoires, ni un être de non-droit voué à des expérimentations clandestines.

 

Encore plus que chez le moustique, nous devons avoir une stratégie d’évitement des déséquilibres écologiques chez l’embryon humain, pour nous prémunir de catastrophes majeures.

S’il y a bien un domaine où l’activité humaine doit être responsable et solidaire, c’est celui de la recherche qui porte sur l’humain. Mais « traquer » tous les embryons trisomiques et détruire 150 embryons humains dans un projet de recherche ne me paraît ni responsable ni solidaire.

 

« L’éthique va de pair avec la qualité scientifique » écrit l’INSERM… en parlant de l’expérimentation animale.

Il faut réduire le nombre des animaux sacrifiés et remplacer les modèles animaux autant que possible.

Il faut une autorisation du ministère de la recherche pour tout projet de recherche sur l’animal.

Il faut une évaluation favorable du comité d’éthique qui applique une charte éthique.

Mais dans la recherche sur l’embryon humain :

  • on ne réduit pas, on augmente le nombre d’embryons sacrifiés,
  • on ne remplace par le modèle embryon humain par le modèle animal, on considère que la recherche sur l’embryon humain est une alternative à la recherche animale,
  • on ne demandera plus d’autorisation de recherche sur l’embryon, mais une déclaration du chercheur suffira,
  • les comités d’éthique sont de plus en plus favorables à la recherche sur l’embryon humain, alors qu’ils sont de moins en moins favorables à la recherche sur l’animal, etc.

Pourquoi les principes de responsabilité et de solidarité sont-ils applicables à toutes les activités humaines sauf à l’expérimentation sur l’embryon humain ?

 

Pour aller plus loin :

Le Pr René Frydman auditionné sur la PMA : l’enjeu majeur est la recherche sur l’embryon



[1] Une autorisation a, pour la première fois, été délivrée à une société privée (Yposkesi), créée en 2016 par l’AFM-Téléthon et le fonds d’investissement SPI, qui exerce une activité pharmaceutique industrielle et commerciale, et qui se positionne actuellement comme le premier acteur industriel français pour le développement et la production de produits de thérapies géniques et cellulaires. Une seconde autorisation a été accordée le 15 juillet 2019 à TreeFrog Therapeutics.

[2] On notera que des autorisations de l’ABM datées du 15 juillet 2019 portent sur des recherches qui vont justifier la destruction de 70 embryons dans un cas et 150 dans l’autre. L’un des projets explique tranquillement qu’il va développer ses embryons jusqu’à 14 jours, anticipant déjà une évolution de la loi.

[3] L’article L. 2151-3 du code de la santé publique dispose qu’« un embryon humain ne peut être ni conçu, ni constitué par clonage, ni utilisé, à des fins commerciales ou industrielles ». L’interdiction sus-énoncée doit être mise en corrélation avec le principe d’ordre public rappelé à l’article 16-1 du code civil selon lequel le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial.

Ainsi, toute utilisation d’éléments ou produits du corps humain à des fins industrielles ou commerciales est proscrite. Cette interdiction contrevient à l’obligation des Etats signataires de la Convention d’Oviedo, parmi lesquels la France, d’accorder une « protection adéquate à l’embryon humain ».

[4] L’invocation du non transfert à des fins de gestation est un prétexte rassurant pour obtenir une transgression nouvelle. Par ailleurs, elle entre en contradiction avec un autre régime de recherche, le régime de recherche biomédicale sur l’embryon en AMP, voté en 2016, qui prévoit le transfert des embryons qui ont fait l’objet de recherche.

[5] L’article 13 de la Convention d’Oviedo dispose que « une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d”introduire une modification dans le génome de la descendance ».

[6] Des disséminations de moustiques génétiquement modifiés ont eu lieu à au Brésil, afin d”éradiquer une partie de la population de moustiques et limiter le risque de maladies infectieuses. Les gènes qui ne devaient pas pouvoir se transmettre se sont malgré tout transmis à la population de moustiques autochtones de la région.

Après avoir intégré d’autres souches modifiées dans la région, une population comportant trois types de génome modifié différents est apparue. L’impact sur la santé publique reste inconnu pour l’instant.

Jean-Marie Le Méné

Jean-Marie Le Méné

Expert

Haut-fonctionnaire, Jean-Marie le Méné est aussi l'un des fondateurs et président de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique. La Fondation Jérôme Lejeune est spécialisée dans la recherche sur les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Soucieuse de développer des thérapies innovantes, la Fondation finance également un consortium international de recherche en thérapie cellulaire. Jean Marie Le Méné est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne" (1997, édition Mame), "La trisomie est une tragédie greque" (Salvator, 2009) et "Nascituri te salutant" (Salvator, 2009)

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