Mes fragiles – Jérôme Garcin

Publié le 19 Jan, 2023

« J’avais un frère fragile. Maintenant qu’il est mort, il me parait plus fort, et je me sens plus faible. En vérité, je ne sais plus qui, de nous deux, était le plus fragile ». C’est par ces mots que Jérôme Garcin entame une ode à ceux qu’il a accompagnés jusqu’au seuil de la mort et qui, loin d’être des fantômes, peuplent de leur présence sa vie d’aujourd’hui.

Mes fragiles reprend l’histoire de sa famille. Le livre s’attache particulièrement à sa mère et à son frère, Laurent, perpétuel souci de sa mère, qui « habite un univers parallèle, qu’aucune loi ne régit » et qui n’a l’air « ni heureux, ni malheureux. Hors sol, hors normes ». Ce n’est que très tard, qu’un médecin, intrigué par le handicap mental de Laurent qui s’invitait dans une famille qui avait donné des générations de médecins, lui suggère de faire des analyses génétiques. Il suspecte un syndrome de l’X fragile. En février 2010, l’auteur se découvre porteur d’une permutation du gène à l’origine de ce syndrome. Elle est susceptible d’engendrer dans le temps un certain nombre de troubles, mais surtout il l’a transmise sans le vouloir à sa fille, à sa petite fille… un tourment et une « culpabilité déraisonnable, irrépressible, inépuisable » qui le ronge. Faut-il toujours savoir ce qu’on transmet ? De la maladie déposée en lui, transmise, qui affecte son frère de plein fouet, il taira le secret à sa mère.

Ces fragiles-là, aussi pesants soient-ils, d’abord par les soins et l’attention qui leur sont dus, ne sont pas des poids pour l’auteur. Au fur et à mesure des pages, il raconte en des lignes touchantes et sensibles, l’accompagnement plein d’attention et de respect, la fin de vie de sa mère, et celle, quelques mois plus tard, de ce frère « différent ». Il laisse un magnifique portrait de l’aidant. Ceux qui sont auprès d’un proche malade ou vieillissant reconnaîtront leur désir de bien faire, leurs soucis, leurs failles aussi.

« Je sais que je prête à Laurent une prévenance imaginaire. Il n’a rien souhaité. Il a seulement été terrassé par le covid, après avoir toujours été déboussolé, égaré par l’X fragile. Mais j’imagine, s’il en avait réchappé et que j’avais eu à exercer mon rôle de tuteur, ce qu’eût été notre existence commune. Il aurait été ma préoccupation quotidienne. J’aurais craint sans cesse pour sa santé mentale et physique, tellement menacée. Je l’aurais habillé, chaussé, équipé, entouré. Il m’aurait affolé. Je me serais alarmé à la moindre de ses fugues dans les rues de Paris, plus nombreuses et énigmatiques encore depuis la mort de notre mère. J’aurais appelé en vain sur son portable, dont il n’écoutait pas les messages laissés sur le répondeur. Je lui aurais proposé des rendez-vous auxquels il ne serait pas venu. Sa sauvagerie ne se serait sans doute pas accommodée de mes journées trop ordonnancées ni mes journées de sa sauvagerie. J’aurais eu peur que mon permanent souci de lui me détourne de travailler au bonheur des miens. J’aurais cherché comment le rendre heureux, plus sociable, plus ouvert, lui faire reprendre le chemin de l’atelier et de la peinture, sans comprendre pourquoi c’était, sans doute, une chimère. Et j’aurais senti, depuis je ne sais où, ma mère veiller à ce que je veille sur lui. Combien de temps aurais-je tenu ? Aurais-je eu ce courage-là, étais-je seulement capable de cette abnégation ? Peut-être sa fragilité aurait-elle eu raison de la mienne ».

A travers les pages, cet hommage aux morts fragiles devient un véritable hymne à la vie, à la famille. Car ceux qui ont disparu restent vivants, « ils sont là. Leur âme demeure, plane et s’obstine ». Un récit qui, sans prendre position, est un magnifique témoignage de ce que peut être, dans ses joies et dans ses aspérités, la vie jusqu’au bout.

Editions : Gallimard

Date de parution : décembre 2022

Nombre de pages : 112

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