Neurosciences, entre progrès et droits de l’homme

Publié le 14 Fév, 2018

Si les neurosciences[1] ouvrent des perspectives thérapeutiques immenses, elles ne sont pas sans risques et appellent une régulation internationale.

Avec les progrès des neurosciences, les données de notre cerveau sont de plus en plus accessibles. Si elles font actuellement l’objet de recherches de pointe, on peut imaginer qu’elles puissent un jour être détournées. Dans ce cas, comment le droit international pourrait-il les protéger ? C’est à cette dernière question que Roberto Andorno, professeur associé de bioéthique et droit biomédical à la Faculté de droit de l’université de Zurich, ancien membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO[2], a tenté de répondre lors d’un séminaire organisé par l’ECLJ à Strasbourg le 10 février 2018. Pour lui, « nous avons besoin de nouveaux droits de l’homme pour répondre à ces nouveaux enjeux ».

Les neurosciences à l’assaut du cerveau

En effet, les progrès de la science mettent l’homme au défi et imposent de vérifier que les droits fondamentaux des personnes et le bien commun de la société sont bien protégés. Parmi les valeurs en jeu, se trouve notamment celles concernant la dignité intrinsèque de la personne, sa vie, son intégrité, son corps, son identité, ses liens de famille, de parenté, de filiation,…

Les connaissances disponibles sur les mécanismes de notre cerveau se développent et peuvent donner l’impression qu’on « essaie de tout expliquer par le cerveau ». Les neurosciences apportent de nouveaux outils de diagnostic thérapeutique notamment avec les interfaces cerveau ordinateur (cf. Une interface cerveau-ordinateur pour diagnostiquer les niveaux de conscience  et Le récit du docteur Owen, qui communique avec ses patients en état végétatif ) ou grâce à l’imagerie cérébrale fonctionnelle.

L’interface neuronale directe consiste à relier le cerveau à un dispositif externe pour réparer les fonctions de communication défaillantes de patients. C’est ainsi que certains peuvent bouger un bras, marcher grâce à des prothèses connectées à leur cerveau[3], des expériences sont aussi menées auprès de malades en locked-in syndrome.

Ingénierie médicale et liberté de pensée

La deuxième technologie utilise l’imagerie médicale et interprète des images mobiles, et non plus de simples clichés fixes. L’imagerie permet un meilleur diagnostic et donc de proposer des thérapies plus adaptées, mais elle ouvre aussi à la possibilité, indirecte, de « lire dans les pensées ». Elle ne lit pas les pensées qui sont immatérielles, mais elle analyse d’un point de vue neurologique les corrélations de nos pensées : telle partie du cerveau est activée, de telle façon… Par ce moyen, il est possible d’associer une certaine activité à un mot, une activité, un souvenir et de reconstituer la pensée d’un individu. Le procédé est encore très approximatif, mais fiable puisqu’il permet par exemple de détecter un mensonge dans 90% des cas ! En effet, la partie du cerveau qui s’active quand une personne ment ou dit la vérité n’est pas la même. Le dispositif permet aussi de déterminer si une personne reconnait un lieu, un individu… Comment ne pas s’interroger sur de potentielles applications judiciaires ?

Une intervention menée par l’intermédiaire d’un ordinateur expose potentiellement à la manipulation d’informations ou à l’envoi de signaux. Les données du cerveau pourraient être utilisées à des fins qui ne seraient pas thérapeutiques et à l’insu de l’individu : c’est la pensée comme telle qui est menacée. Or, le cerveau est le dernier refuge de la liberté de la personne humaine. « Par le passé », explique Roberto Andorno, « on pouvait emprisonner un individu, le torturer, il continuait à penser ce qu’il voulait ». Cette nouvelle technologie ouvre peu à peu la possibilité de manipuler directement les pensées, de franchir la barrière de certaines mémoires, « ce qui est préoccupant et impose une réflexion sur la mise en place de nouveaux droits dans ce domaine ». Et donc de nouveaux moyens de protéger l’individu.

Elargir le champ des droits de l’homme

Roberto Andorno envisage la mise en place d’un « droit à la vie privée mentale » pour garder la confidentialité mentale contre les intrusions non consenties par l’individu, mais aussi contre la collecte, la diffusion ou l’utilisation des données mentales. Il existe déjà un droit à la vie privée qui protège les informations livrées à l’extérieur sur nous-même, mais « nous sommes ici dans le domaine de la pensée, ces informations sont intimement liées à ce que nous sommes, à notre personnalité. Elles dépassent largement le cadre du droit à la vie privée ».

Etendu, le droit interroge sur ses limites : le procédé d’imagerie cérébrale étant non invasif et n’entrainant aucun dommage, existe-t-il des situations où il peut être légitime de lire dans les pensées de quelqu’un sans son consentement, avec l’autorisation d’un juge ? Par exemple dans des situations criminelles, lors d’attentats terroristes ?

Ensuite, il évoque un « droit à l’intégrité mentale » pour protéger la confidentialité des données du cerveau d’une personne contre les intrusions qui pourraient entrainer des dommages, pour préserver son identité. Pour une maladie de Parkinson par exemple, on utilise des stimulations du cerveau dans le but de traiter les symptômes de maladies, mais elles peuvent avoir des effets secondaires allant jusqu’à modifier la personnalité (cf. Manipulation du génome humain : entre Hippocrate et Bellérophon) : un introverti pourra devenir extraverti, voire même un exhibitionniste. La famille ne reconnait plus son proche. La mise en place de ce droit aura pour objectif de garantir qu’il n’y ait pas de rupture dans la perception que nous avons de nous-même, de ce que nous sommes. Car pour fascinantes qu’elles soient, ces découvertes ne doivent pas devenir des menaces pour la personne elle-même.

 

[1] Les neurosciences regroupent toutes les disciplines scientifiques qui ont pour objet l”étude du système nerveux et de ses affections. Le système nerveux humain comprend la moelle épinière, le cerveau, les nerfs, le système nerveux autonome ainsi que les organes qui contrôlent les sens.

[2] Auteur de Principles of international biolaw (Bruxelles, Bruylant, 2013).

[3] « Une interface cerveau-machine (ICM) désigne un système de liaison directe entre un cerveau et un ordinateur, permettant à un individu d’effectuer des tâches sans passer par l’action des nerfs périphériques et des muscles. Ce type de dispositif permet de contrôler par la pensée un ordinateur, une prothèse ou tout autre système automatisé, sans solliciter ses bras, mains ou jambes. Le concept remonte à 1973 et les premiers essais chez l’homme datent du milieu des années 90 », source INSERM.

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