Nouveaux tests prénataux et eugénisme

Publié le 26 Fév, 2013

 “Pour qu’enfin le regard change“, tel est le combat d’Emmanuel Laloux, président du collectif Les amis d’Eléonore, qu’il a créé, et père d’Eléonore, une jeune femme trisomique âgée de 27 ans, qui a un mi-temps en CDI et un appartement à elle. Or, la journaliste explique que “ce combat est loin d’être gagné. Sous peu, avec une simple prise de sang effectuée dès les premières semaines de grossesse, une femme pourra savoir si le foetus qu’elle porte est atteint d’anomalies chromosomiques, de maladies génétiques, voire de prédispositions à certains cancers. Et avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG), bien avant le délai légal de treize semaines“. Pourtant, Emmanuel Laloux se dit soulagé de ne pas avoir su que “son bébé allait être trisomique“: “Heureusement qu’on ne l’a pas su. Ne connaissant de la trisomie 21 que les clichés que la société en a, on se serait peut-être laissé aller à l’eugénisme“. 

En France, les lois de bioéthique de 2004 ont interdit “le fait de mettre en oeuvre une pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes“, et “le Code pénal punit ce crime de trente ans de réclusion criminelle et d’une amende de 7 500 000 euros“. Néanmoins, l’arrivée de ces “nouvelles techniques de dépistage précoce, sans danger pour la future mère et son foetus“, donnerait lieu à une véritable “sélection des enfants” à naître. A propos de ces nouveaux tests, Pierre Le Coz, philosophe et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) estime que l’ “on a encore du mal à en prendre toute la mesure, mais c’est une révolution, un tremblement de terre“. Il ajoute qu’il voit se dessiner une “société qui traque et cible pour éliminer“. 

 

Il existe à ce jour deux types de tests: un premier, le Prenatest, commercialisé en Allemagne, en Autriche, au Lichtenstein et en Suisse depuis août 2012. Il “permet de détecter, après dix semaines de gestation, l’ ‘ADN circulant’ du foetus dans le sang maternel“, et de “détecter, dans 96 à 98% des cas, si l’enfant à naître sera porteur de la ou des maladies génétiques que l’on souhaite dépister“. Ce test, “développé pour le repérage spécifique de la trisomie 21 […], pourrait être commercialisé en France d’ici un an par le laboratoire Cerba, qui en a fait la demande auprès des autorités de santé“. 

 

Le deuxième test est l’Iset. Il “permet d’intervenir à un stade encore plus précoce, dès cinq semaines d’aménorrhée” et a été développé par une équipe de l’Inserm dirigée par Patrizia Paterlini-Brechot. Elle précise d’ailleurs: “on pourra diagnostiquer très bientôt, de manière certaine et non invasive, la trisomie 21 et aussi toutes les maladies génétiques de l’enfant à naître, diagnostiquables actuellement par des méthodes invasives“. La chercheuse, “qui a reçu la licence de l’Inserm pour commercialiser les brevets déposés par son équipe” a récemment fondé l’entreprise Rarecells et “espère vendre la méthode Iset” cette année, à l’étranger. 

 

En France, le feu vert à la commercialisation du nouveau test n’a pas été donné, et le CCNE a été saisi pour avis en juillet dernier par la direction générale de la santé. L’avis, qui aurait dû être rendu fin 2012, est actuellement en cours de rédaction en raison de “la complexité des enjeux“. Car diverses questions se posent: “faut-il autoriser ces tests non invasifs en France?” ou encore, a qui faut-il le proposer?
Alexandra Benachi, chef du service de gynéco-obstétrique à l’hôpital Antoine-Béclère (Clamart), “a déjà éprouvé le prénatest auprès des futures mères, pour le laboratoire Cerba“. Pour elle, il faut réserver le test “au dépistage pour les femmes à haut risque de trisomie 21“. Cependant, elle est persuadée qu’ “au nom de l’égalité d’accès, ‘d’ici moins de cinq ans, toutes les Françaises se verront proposer ce test à la place du dépistage sanguin du premier trimestre“. 

 

Pour un certain nombre de spécialiste, la commercialisation de ce nouveau test est très inquiétante. Ainsi, Dominique Bonneau, généticien au centre hospitalier universitaire d’Angers met en garde contre “des erreurs gravissimes que l’on pourrait commettre sur les foetus. Chacun d’entre nous est porteur de 100 à 200 mutations de séquences codantes de nos gènes” et ” dans la majorité des cas, ces mutations sont sans conséquence. Mais si ces tests sont en libre accès sans explication médicale sérieuse, la mise en évidence de ces mutations risque d’être mal interprétée. Plus aucune grossesse ne sera considérée comme normale! On trouvera des anomalies génétiques chez tous les foetus et on ne saura pas quoi faire“. 
La journaliste s’interroge alors: “même s’il n’y a pas d’incertitude sur le diagnostic, les parents pourront-ils choisir  en toute indépendance de mettre au monde un enfant malade?“. Pour Nicolas Journet, scénariste de 31 ans atteint d’une maladie génétique rare, le syndrome de Marfan, qui fragilise en priorité l’oeil, le squelette et le système cardio-vasculaire, “la question du choix est biaisée“. Prenant l’exemple des personnes trisomiques, il ajoute: “les parents savent que la société les accepte mal, que très peu de structures peuvent les prendre en charge. En fait ce n’est pas un choix!“. Ces nouveaux tests posent une question, celle de “la normalité, de l’acceptation du handicap et de la maladie”. Enfin, il précise qu'”avec ces tests, c’est comme si les médecins n’étaient plus dans le soin des malades, mais dans le tri“. 

 

Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune qui finance la recherche thérapeutique de la trisomie 21, s’insurge: “quel est le but de ces nouveaux tests? Aboutir à ‘zéro triso’ ?“. Pour jean-Marie Le Méné, ce nouveau test “est un faux progrès. L’issue du dépistage est l’élimination. C’est de l’acharnement à faire en sorte que ces enfants ne naissent pas. Ce n’est pas glorieux dans une société qui se gargarise de respecter les différences et d’aider les plus faibles“. De même, Jacques Testart, biologiste qui a permis la naissance du premier bébé éprouvette en 1982 “se désole de ‘la marche implacable vers l’eugénisme‘ “et précise que “l’on va vers une humanité à façon, compétitive, productive et pas humaniste“. 

Pour la journaliste, “ces interrogations montrent qu’un débat national sur ces tests est indispensable, ainsi qu’un encadrement très strict de leur usage pour éviter les dérives“. 

 

 Ca m’intéresse ( Alexandra Bogaert) mars 2013

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