Pauvreté, obésité, deuil : des euthanasies « moralement éprouvantes » au Canada

21 Oct, 2024

Après avoir légalisé l’euthanasie en 2016, le Canada a élargi sa législation en 2021 pour autoriser les personnes atteintes d’une « maladie incurable », mais pas en phase terminale, à recourir à l’« aide médicale à mourir » (MAiD ou AMM)[1]. Le handicap étant considéré comme une « maladie incurable » (cf. Euthanasie des personnes handicapées : « Ce n’est pas de la compassion. C’est de l’abandon. »). Des médecins et des infirmières ont mis en place des groupes de discussion afin d’échanger sur des cas « perturbants »[2].

Euthanasié car pauvre

Un médecin y décrit le cas d’un homme souffrant d’une « grave maladie pulmonaire » mais dont il estime que la souffrance est « principalement due au fait qu’il est sans-abri, endetté et qu’il ne peut tolérer l’idée de soins (de longue durée) de quelque nature que ce soit ». Dans un contexte de « crise nationale du logement », il serait « tout simplement irréaliste et donc cruel » d’envisager de proposer un solution de logement, considère un soignant. Cet homme a finalement été euthanasié.

Les représentants du gouvernement réfutent l’idée selon laquelle les personnes socialement défavorisées sont euthanasiées. Pourtant, dans l’Ontario, près de 29 % des personnes euthanasiées alors qu’elles n’étaient pas en phase terminale vivaient dans les régions les plus pauvres, quand seulement 20% de la population générale y réside. Ce qui suggère que la pauvreté peut être un facteur dans les cas d’euthanasie non terminale [3] au Canada.

Des débats autour de l’obésité, la cécité, le deuil

Sur les forums des « prestataires » d’AMM, les participants ont débattu de l’euthanasie pour cause d’obésité dans plusieurs cas. Un médecin y a estimé que l’euthanasie est « justifiée » parce que l’obésité est « une condition médicale qui est effectivement grave et irrémédiable ».

Un autre a fait état de 4 cas pour cause de cécité. Dans l’un d’eux, un homme âgé qui ne voyait « que des ombres » était l’aide-soignant de sa femme. Il voulait qu’elle meure avec lui. Le couple a eu plusieurs rendez-vous avec un évaluateur avant que la femme « accepte finalement » d’être tuée, explique le prestataire. Elle est décédée quelques jours avant la date prévue pour l’euthanasie.

Mettre fin à la vie de personnes en deuil est un autre sujet abordé. Dans un cas, il s’agissait d’une octogénaire qui avait besoin de dialyse et qui avait perdu son mari, un frère et son chat en l’espace de six semaines. Son évaluateur a déclaré que ses souffrances et sa demande de mourir étaient liées à la mort de son mari plutôt qu’à des problèmes médicaux. Mais pour certains médecins, parce qu’elle avait perdu son mari – « le facteur de protection qui rendrait les autres pertes et souffrances supportables » – elle remplissait les conditions requises.

Les cas controversés évoqués dans les forums « n’ont jamais été divulgués par le système de surveillance canadien, même de manière anonyme ». Un manque de transparence « alarmant » selon certains experts.

Des soignants éprouvés

Des soignants chargées d’administrer l’euthanasie à des personnes qui ne sont pas mourantes le qualifie de « moralement éprouvant ». Ils affirment que « les dispositions légales sont trop vagues pour être protectrices, obligeant les médecins et les infirmières à mettre parfois fin à la vie de personnes qui pourraient être sauvées autrement ».

« Je ne veux pas que (l’euthanasie) devienne la solution à toutes les formes de souffrance », plaide un médecin sur l’un des forums privés. Au Canada, la loi n’exige pas que les patients épuisent tous les traitements médicaux avant de demander la mort.

 

[1] Ils sont désormais gérés par l’Association canadienne des évaluateurs et fournisseurs d’AMM, un organisme « de formation et de recherche ».

[2] Des échanges ont été obtenus par l’Associated Press sous couvert d’anonymat.

[3] L’année dernière, ils représentaient 116 des 4 528 décès survenus après une euthanasie dans l’Ontario.

Sources : AP news, Maria Cheng et Angie Wang (16/10/2024) ; AP news, Maria Cheng (18/10/2024)

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