Une étude publiée par la Cambridge University Press [1] révèle qu’au cours des dernières années, plusieurs personnes ont été euthanasiées aux Pays-Bas uniquement en raison de leur déficience intellectuelle ou de leur trouble du spectre autistique (TSA).
L’euthanasie autorisée dans de multiples situations
En 2021, aux Pays-Bas, 7666 décès ont fait suite à une euthanasie, soit 4,5% de tous les décès, indiquent les auteurs.
Les euthanasies y sont soumises à une commission d’examen (Regionale Toetsingscommissie Euthanasie, RTE [2]), chargée de juger si les exigences règlementaires ont été respectées. L’un des critères est que la souffrance du patient soit « insupportable, sans perspective d’amélioration ». Dans le rapport rédigé suite à une euthanasie, les médecins doivent expliquer en quoi consistait la souffrance, pourquoi ils étaient convaincus qu’elle était insupportable et comment ils en sont arrivés à la conclusion qu’il n’y avait aucune perspective d’amélioration.
Certes, les « souffrances insupportables » doivent avoir une « base médicale », exige la loi. Mais le spectre est large. En effet, « les troubles psychiatriques, la démence, divers syndromes gériatriques, des syndromes de douleur chronique ou des maladies génétiques » en font partie. Ainsi, les personnes ayant une déficience intellectuelle ou présentant un TSA sont autorisées à recourir à l’euthanasie. Et bien que le pourcentage de ces demandes soit faible, le nombre de décès par euthanasie pour des raisons autres qu’une maladie en phase terminale « augmente et n’est pas négligeable », soulignent les chercheurs (cf. Pays-Bas : 29 couples euthanasiés en 2022).
Au moins 39 personnes avec une déficience intellectuelle ou un TSA euthanasiées
Entre 2012 et 2021, les RTE néerlandais ont reçu 59 996 notifications d’euthanasies. Les résumés de 927 cas sont regroupés dans une base de données [3]. C’est cette base que les chercheurs ont exploitée [4] afin d’évaluer les euthanasies de personnes atteintes d’une déficience intellectuelle ou d’un trouble du spectre autistique. 39 rapports en sont ressortis : 15 personnes avaient une déficience intellectuelle, 20 présentaient un TSA, et 4 les deux.
Parmi ces 39 patients, 26 étaient atteintes d’une maladie physique, 25 de troubles psychiques. Dans huit cas (21 %), les seules causes de souffrance décrites étaient des « facteurs directement associés à la déficience intellectuelle ou au TSA ». Dans huit autres cas, le trouble du spectre autistique ou la déficience intellectuelle « ont rendu difficile la prise en charge de symptômes physiques non mortels », tels que des affections ou des symptômes liés à l’âge pour 5 d’entre eux, des acouphènes pour deux personnes ou un cancer guérissable pour un patient.
L’extrapolation serait hasardeuse. Mais soulignons que la base de données ne reprend qu’environ 1,5% de toutes les euthanasies pratiquées dans le pays [5]. Les auteurs pointent que « les cas que RTE a choisi de publier peuvent ne pas être représentatifs de tous les cas d’euthanasies impliquant des personnes handicapées mentales et/ou présentant un TSA ». « Nous n’avons pu évaluer que ce que les médecins ont choisi de déclarer, en fonction de leur propre point de vue », rappellent-ils. Combien de personnes souffrant d’une déficience intellectuelle ont effectivement été euthanasiées sur cette période ?
Souffrir de solitude
Sept patients ont vu leur demande validée par leur propre médecin, qui a ensuite pratiqué l’euthanasié. Mais dans la majorité des cas, c’est l’Expertisecentrum Euthanasie (« Centre d’expertise en euthanasie » (CEE)) qui a procédé à l’évaluation et à l’approbation de la procédure [6]. Principalement parce que le médecin du patient a trouvé le cas « trop complexe ».
Dans un tiers des cas, les médecins ont justifié leur accord principalement par le fait que « les TSA et la déficience intellectuelle ne sont pas traitables » et qu’« il n’y a aucune perspective d’amélioration de la souffrance du patient ».
Pour 14 patients, le médecin évaluateur ne pensait pas que les critères étaient remplis. Référés ensuite au CEE « pour une évaluation plus approfondie et / ou vu par un autre praticien », le centre arrive le plus souvent à la conclusion que l’euthanasie est « la bonne option pour le patient ».
Or plus des trois quarts des patients [7] ont décrit « la solitude ou l’isolement social » comme une cause majeure de souffrance.
Deux euthanasies litigieuses
Pour deux patients, euthanasiés l’un en 2017 et l’autre en 2018, le RTE a conclu que les critères règlementaires n’avaient pas été respectés, le médecin ayant manqué à son devoir de consulter un avis indépendant.
Un homme de 50 ans atteint d’un trouble du spectre autistique a ainsi été euthanasié alors qu’un deuxième praticien avait conclu que « même si le diagnostic principal (TSA) était incurable, il existait encore des options pour améliorer la résilience du patient et l’aider à mieux faire face à la mort d’un parent ». Le médecin du patient, en désaccord avec ces conclusions, a procédé à l’euthanasie. Pour le RTE, il aurait dû demander un troisième avis.
Un échec de la société
Les auteurs relèvent que les personnes présentant une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre autistique sont fréquemment victimes de harcèlement, de solitude et de chômage. Les accepter comme critères pour mettre fin à la vie « pourrait refléter une approbation tacite de l’échec de la société » à inclure ces personnes, et à garantir les ressources et les compétences pour leur venir en aide.
Euthanasier des personnes atteintes de déficience intellectuelle est simplement une démission de la société face à leur souffrance. Une démission parfois assumée, comme au Canada où désormais la moitié de la population est favorable à l’euthanasie des personnes handicapées selon un récent sondage (cf. Canada : méconnaissance des soins palliatifs et euthanasie des sans-abris ?).
En France, les Conventionnels ont recommandé que l’euthanasie soit autorisée en cas de souffrances réfractaires, qu’elles soient physiques, psychiques ou existentielles (cf. La Convention citoyenne dans la dernière ligne droite). De son côté le CESE considère que la loi annoncée pour la fin de l’été ne pourrait être que provisoire (cf. Fin de vie : nouvel avis du CESE en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté). L’euthanasie en raison de souffrances psychiques seules n’y figurera pas, a indiqué Agnès Firmin Le Bodo qui a pris en charge le dossier pour le gouvernement (cf. Fin de vie : Agnès Firmin le Bodo esquisse le futur projet de loi). Aujourd’hui, peut-être. Et demain ? (cf. Euthanasie aux Pays-Bas : « Regardez ce pays et vous verrez peut-être la France de 2040 »)
[1] Cambridge University Press : Tuffrey-Wijne, I., Curfs, L., Hollins, S., & Finlay, I. (2023). Euthanasia and physician-assisted suicide in people with intellectual disabilities and/or autism spectrum disorders: Investigation of 39 Dutch case reports (2012–2021). BJPsych Open, 9(3), E87. doi:10.1192/bjo.2023.69
[2] Il s’agit de comités régionaux
[3] https://www.euthanasiecommissie.nl
[4] Ils ont effectué une recherche par mots clés en néerlandais : « verstandelijk [mental], verstandelijke beperking [déficience mentale/intellectuelle], intellectuelle beperking [déficience intellectuelle], zwakbegaafd [handicapé mental], verminderde intelligentie [faible intelligence], autisme [autisme], ASS [trouble du spectre autistique], Asperger »
[5] Comme l’indique le site internet des RTE, ces rapports ont été sélectionnés pour publication « en raison de leur importance dans l’élaboration des normes et standards sociétaux ».
[6] Le CEE se compose de médecins et d’infirmières qui prennent en charge des patients dont la demande a été refusée par leur propre médecin. S’ils considèrent que tous les critères sont remplis, un médecin de l’équipe peut effectuer l’euthanasie.
[7] 30 patients sur 39
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