Troisième et dernier jour de débat sur le projet de loi bioéthique examiné par les députés en 3ème lecture. Après une après-midi occupée à débattre de l’article 4 relatif au régime de filiation à l’égard de deux mères, et une soirée à discuter de la recherche sur l’embryon humain, du diagnostic prénatal et de l’avortement tardif, les députés ont adopté le projet de loi par 84 voix contre 43.
Sans surprise la majorité des députés a rejeté tous les amendements visant à limiter les dégâts sociétaux et bioéthiques. La version de l’assemblée en 2ème lecture a été de nouveau votée pour cette 3ème lecture. Pour rappel elle comporte notamment la PMA pour les femmes homosexuelles et célibataires (article 1), l’accès aux origines sans possibilité d’établir de filiation avec le géniteur (article 2), l’autoconservation des ovocytes (article 2), la filiation à l’égard de deux mères (article 4), la recherche sur l’embryon humain jusqu’à 14 jours, la libéralisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), la création de gamètes artificiels, de copies d’embryons humains (articles 14 et 15), d’embryons chimères, d’embryons transgéniques (article 17), la banalisation de l’avortement tardif (article 20), etc. Heureusement, quelques amendements aggravant encore certaines transgressions n’ont pas été votés, notamment l’élargissement de l’IMG pour cause de détresse psycho sociale (article 20).
« Un simulacre de débat »*
On retiendra de ce débat en séance la règle du temps programmé. Les amendements sont rarement défendus faute de temps imparti. Seul l’orateur du groupe peut prendre la parole un peu plus souvent. Pour l’opposition, c’est Patrick Hetzel (LR) qui endosse ce rôle avec brio. « La belle affaire, c’est une supercherie », dénonce-t-il alors qu’on veut faire croire à un « mieux-disant éthique ». Les formules répétées avec dextérité par le président de séance : « Amendements n°…est défendu, qui est pour, qui est contre, il est rejeté » resteront en mémoire.
« Le gouvernement n’a cure de franchir des lignes rouges »*
Les justifications du rapporteur Philippe Berta (Modem) ou de la ministre de la recherche Frédérique Vidal sur la recherche sur l’embryon humain et ses cellules souches sont confuses, peu convaincantes, voire erronées (cf. Projet de loi bioéthique : le marathon continue avec de moins en moins de députés). Comme en 2011, ou en 2013, des arguments compassionnels sont utilisés. Philippe Berta ose évoquer les enfants malades en attente de thérapie génique pour justifier la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et caricaturer les députés de l’opposition pour laisser penser qu’ils y seraient insensibles… Mais il s’est bien gardé d’expliquer en quoi la thérapie génique aurait besoin des CSEh. Cela fait d’ailleurs des années qu’elle progresse sans. L’autorité scientifique tente aussi de s’imposer pour empêcher le débat. Ainsi Philippe Berta cite des recherches du Professeur Christian Jorgensen qui concernent l’arthrose, le cartilage, une fois encore pour prouver le bien-fondé de la recherche sur les CSEh. Là encore il ne précise pas en quoi ces recherches auraient besoin des CSEh. Or ces recherches sont basées sur des cellules souches adultes graisseuses ! La biothérapie invoquée n’a donc rien à voir avec les CSEh. Ces erreurs, ce mutisme à parler réellement de la réalité de la recherche sur l’embryon humain et des CSEh inquiètent sur les vraies raisons qui amènent la majorité à franchir de telles lignes rouges. De même pour les chimères, Anne-Laure Blin (LR) est obligée d’élever la voix : « vous faites comme s’il n’y avait pas de sujet ». Blandine Brocard (Modem, ex-LaREM), insiste elle aussi : « Il y a un sujet […] au regard des risques sanitaires on doit interdire les chimères animal-homme au même titre que les chimères homme-animal. ». Pascal Brindeau (UDI) rappelle lui aussi : « vous voyez bien que cela interpelle la conscience humaine. C’est tout sauf un faux débat. Il y a le point de vue des scientifiques, mais il y a aussi le point de vue éthique ».
« L’utérus sera la seule frontière entre ce qui est légal et l’infanticide »**
Enfin, les revendications sur l’interruption médicale de grossesse pour détresse psychosociale réapparaissent (article 20). L’avis défavorable du rapporteur Jean-François Eliaou (LaREM) a pesé dans la balance. Le gouvernement n’a pas non plus encouragé cet ajout (avis de sagesse). C’est donc par 74 voix contre 40 que la détresse psychosociale ne réintègrera pas explicitement le projet de loi bioéthique. Ce débat aura permis à Agnès Thill (UDI) de rappeler la gravité éthique, la violence de l’avortement tardif : « La membrane de l’utérus est la frontière entre ce qui est légal et ce qui est un infanticide ».
« Je ne sais pas où l’on va »***
La fin du débat à 1h30 du matin laissera un goût amer. Les députés de l’opposition le diront : « nous avons avancé à marche forcée […] vous laissez la porte ouverte à la GPA », affirme Anne-Laure Blin. « On va autoriser des enfants à naître sans père, on va autoriser des pères à devenir également mères enfin franchement je ne sais pas où l’on va…», explose Julien Ravier. « Vous avez lié dans un même texte deux sujets de catégories différentes : la PMA sans père, sujet sociétal, et les sujets bioéthiques sur la recherche et les gardes fous nécessaires. Il n’y a pas eu de dialogue, vous avez balayé ce qui a été fait au Sénat, vous bafouez le véritable dialogue parlementaire […] ce dont il est question c’est de l’anthropologie humaine […] Mais avez-vous encore conscience de ce qu’est le faible [à protéger] ? », explique Patrick Hetzel. « C’est un naufrage éthique que vous provoquez », conclut Emmanuelle Ménard.
Le projet de loi bioéthique sera examiné une dernière fois par le Sénat le 24 juin, puis reviendra à l’Assemblée nationale pour le vote définitif le 29 juin.
*Patrick Hetzel (LR)
**Agnès Thill (NI)
***Julien Ravier (LR)
Pour en savoir plus sur la 3ème lecture du PJL bioéthique :
- « Les principes éthiques sont variables dans le temps et l’espace. » Vraiment ?
- La PMA sans père réintroduite par les députés en commission : bis repetita
- Projet de loi bioéthique : la commission campe sur sa version de 2ème lecture
- Projet de loi bioéthique : le marathon continue avec de moins en moins de députés
- Projet de loi bioéthique : l’Assemblée aura le dernier mot le 29 juin
Pour en savoir plus sur le PJL bioéthique : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/bioethique_2
Pour consulter les scrutins publics de la séance du 9 juin 2021 :
- sur l’ensemble du projet de loi 3ème lecture https://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/3808
- sur le rejet de l’IMG pour cause psychosociale : https://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/3806
- sur la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines (article 14) : https://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/3804
- sur les embryons transgéniques et chimériques (article 17) : https://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/3805