Au cours du congrès annuel de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), les principaux résultats de la « convention soignante » ont été présentés. L’occasion pour les soignants de rappeler leurs réserves. De leur côté, les parlementaires de l’opposition ont refusé la « co-construction » voulue par la ministre Agnès Firmin Le Bodo.
« Personne ne se projette dans le fait d’injecter un produit létal »
Lancée en parallèle de la convention citoyenne sur la fin de vie (cf. Fin de vie : La Convention citoyenne rend sa copie), la « convention soignante » a été menée pendant un mois par quelque 1500 soignants issus de centres hospitaliers, d’Ehpads, d’établissements médico-sociaux, de services d’oncologie ou de soins palliatifs. Réunis dans 130 équipes, ils ont réfléchi à l’impact de la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté sur leurs pratiques. « Qu’est ce qui est acceptable ? Qu’est-ce qui m’interroge ? Qu’est-ce que je refuse ? »
Leurs travaux ont fait ressortir sept messages.
De façon prévisible, les soignants ont rappelé que « donner la mort n’est pas un soin » (cf. Fin de vie : « c’est le soin qui doit d’abord s’exprimer »). « Personne ne se projette dans le fait d’injecter un produit létal » indique un participant (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie). Même si les réticences sont « un peu moins fortes » sur le suicide assisté que sur l’euthanasie, la plupart des participants rejettent les deux modalités et refusent d’y participer. « Le suicide assisté est incompatible avec les soins palliatifs » rappelle le Dr Emmanuel Judde de Larivière, membre du bureau de la SFAP (cf. Fin de vie : « ne dévoyons pas les soins palliatifs »).
L’euthanasie est « d’une violence extrême »
En cas d’évolution de la loi, beaucoup disent qu’il faut « poser d’indispensables garanties en terme de collégialité, de conditions d’accès, d’évaluation, de temporalité », même s’ils savent que « ce sera fragile ». « Après un certain temps, le cadre peut évoluer » alerte le Dr Judde de Larivière.
Les « risques de dérives inévitables » pour les patients les plus fragiles qui pourraient se voir comme « un poids » pour la société ou pour autrui sont eux aussi d’ores et déjà évoqués (cf. Les dérives inquiétantes de la pratique de l’euthanasie en Belgique), tout comme la crainte de la désorganisation des services de soin (perte de sens, démissions, divisions dans les équipes…).
Tous les groupes ont en outre insisté sur la nécessité de développer « la formation et l’offre de soins palliatifs pour que ceux-ci soient accessibles pour tous et partout ».
« Prendre soin du vécu des soignants » est un autre message de la convention. « On ne l’entend pas très souvent » regrette le Dr Judde de Larivière. « L’euthanasie n’est pas qu’un concept » alerte t-il. « C’est quelque chose d’incarné » et qui peut être pour les soignants « d’une violence extrême » (cf. Euthanasie : « ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne »).
« Témoigner de ce que nous vivons »
« Le débat en cours semble parfois se réduire à un choix entre euthanasie et suicide assisté. Or nous savons tous que face à un dilemme éthique apparemment insoluble, il faut refuser de se laisser enfermer dans un choix binaire et chercher une troisième voie, penser autrement » a interpellé Claire Fourcade, la présidente de la SFAP.
Le rôle des soignants dans le débat pose toutefois question. « Faut-il nous asseoir à la table et contribuer à écrire un texte qui nous déchire ou laisser à d’autres le soin de décider de notre avenir ? » interroge Claire Fourcade. « Nous irons à la table de l’écriture de la loi à venir. Nous irons témoigner de ce que nous vivons. Nous dirons ce qui est pour nous essentiel. Nous sommes devant un choix politique » a-t-elle indiqué au congrès de la SFAP.
En contrepartie, la présidente de la SFAP a insisté : « nous demandons au Gouvernement et au Parlement de poursuivre cette voie française de l’accompagnement, en ne faisant pas peser la décision et la réalisation de la mort provoquée sur les équipes soignantes du patient ». A l’image de ce qui se passe pour la mise sous tutelle, elle considère que « les équipes qui accompagnent un malade en soins palliatifs ne devront pas être impliquées dans le processus » qui aboutirait à l’euthanasie.
« On n’est pas dupes de la méthode du gouvernement »
Outre les soignants, Agnès Firmin Le Bodo a également demandé aux groupes politiques des deux chambres de désigner, chacun en leur sein, deux élus pour participer à la « co-construction » du projet de loi.
Eliane Assassi, présidente du groupe communiste au Sénat, et André Chassaigne, président des députés communistes ont refusé la proposition. « Malheureusement, la confiance nécessaire pour avancer sur des sujets aussi complexes et délicats que la fin de vie, est très largement abîmée » ont-ils indiqué en réponse.
Jeudi 15 juin, lors de la première réunion des élus, ni les parlementaires communistes, ni les sénateurs républicains et socialistes n’étaient présents (cf. Fin de vie : les réticences du Sénat). Des membres du groupe écologistes, solidarités et territoires au Sénat, ainsi que des députés écologistes, socialistes, des députés du groupe Liberté, indépendants, outre-mer et territoire et du Rassemblement national étaient en revanche là.
Le groupe LR à l’Assemblée a indiqué qu’il serait présent aux prochaines réunions. « Ce sera une participation sans soutien » précise cependant le président du groupe, Olivier Marleix. « On n’est pas dupes de la méthode du gouvernement qui dit vouloir co-construire alors que c’est lui qui tient la plume », « mais on entend peser dans l’écriture, notamment, du volet soins palliatifs de la future loi » ajoute-t-il.
Des initiatives parlementaires
Pour éviter que l’euthanasie ne puisse apparaître comme une « réponse » aux questions que pose la fin de vie, certains parlementaires de la majorité demandent qu’un texte distinct concernant les soins palliatifs soit déposé.
De son coté, Olivier Falorni, député MoDem, a créé un groupe d’études sur la fin de vie au Parlement (cf. La fin de vie, thème d’un groupe d’étude de l’Assemblée nationale). 129 députés en sont membres. Mercredi, un cycle de débats entre partisans et opposants de l’« aide active à mourir » a commencé dans ce cadre.
Sources : Le Figaro, Agnès Leclair (15/06/2023) ; Le Monde, Béatrice Jérôme (15/06/2023) ; Actu soins, Géraldine Langlois (19/06/2023)