Soins palliatifs, soins d’accompagnement : que retenir du premier jour de débats ?

14 Mai, 2024

Les 71 députés de la commission spéciale ont répondu présent pour cette première journée de travail sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie (cf. Fin de vie : l’examen des amendements débute, les débats sont lancés). Dans cette salle de commission bondée, assis en rangs serrés, les députés se sont lancés dans la défense de leurs amendements, de leurs idées. Ils n’ont pas manqué d’interpeller la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, présente comme le veut la procédure pour répondre aux questions et défendre « son » texte.

Un débat sémantique sur fond de dialogue de sourds

De 16h à minuit trente, soit pendant environ sept heures de débats, les députés ont examiné 119 amendements, adopté 18 d’entre eux, et voté l’article 1 du projet de loi qui crée les « soins d’accompagnement ». « Une notion qui crée de la confusion » s’inquiète Annie Genevard (LR) (cf. « Soins d’accompagnement » : médecins et infirmiers opposés au changement de terminologie). « Elle n’existe nulle part ailleurs dans la littérature scientifique internationale. Vous vous bercez de mots. Vous créez un nouveau concept, vous êtes contents », s’offusque Philippe Juvin (LR). Avec cette nouvelle catégorie de soins, on « dilue la priorité que sont les soins palliatifs », alerte Thibault Bazin (LR). Charles de Courson (Indépendants) confirme.

La ministre tente de convaincre : « les soins d’accompagnement sont des soins qui interviennent très en amont au moment du diagnostic. Les maisons d’accompagnement accueillent des personnes en fin de vie pour qui il n’y a plus de thérapeutiques possibles, et qui ne peuvent rentrer chez eux ». Pierre Dharréville (Nupes) persiste : « Malgré toutes les explications, je ne saisis pas la nuance qu’il y a entre les soins d’accompagnement et les soins palliatifs ». Patrick Hetzel (LR) pousse la ministre dans ses retranchements : « Vous parlez de continuum avec les soins d’accompagnement. Mais lequel est-il ? Est-ce un continuum entre le titre I sur les soins d’accompagnement et le titre II sur l’euthanasie et le suicide assisté ? Si c’est cela affichez le ! » (cf. L’euthanasie : une menace pour les soins palliatifs ?). La ministre ne répondra pas à cette question précise de savoir si les soins d’accompagnement, ou les maisons d’accompagnement, intègrent les pratiques euthanasiques. Un silence inquiétant.

Des modifications apportées en faveur des soins palliatifs 

Malgré un débat fastidieux, qui a fait dire à la présidente de la commission, Agnès Firmin Le Bodo, qu’« à ce rythme-là, il nous faudra 140 heures » pour étudier le texte, les députés ont apporté certaines modifications au projet de loi.

La notion de « soins palliatifs », supprimée dans le projet de loi initial, a été réintégrée, à côté des « soins d’accompagnement », à la fois dans le titre I et l’article 1 avec les amendements CS1955 et CS1767, portés respectivement par le rapporteur Didier Martin et Geneviève Darrieussecq (Modem). Ces soins doivent pouvoir être dispensés aussi en milieu carcéral précise l’amendement CS984 de Raphaël Gérard (Renaissance).

Les directives anticipées sont intégrées dans le dispositif des « soins d’accompagnement », qui sont censées intervenir dès l’annonce du diagnostic. Une précision qui laisse songeur quand on sait le choc que peut avoir un diagnostic grave ainsi que l’incertitude médicale et humaine qui en résulte. Forcer à la projection via les directives anticipées peut entrainer dangereusement le patient sur une pente glissante. Enfin, il est précisé que les soins d’accompagnement sont renouvelés « en fonction de l’évolution de la situation et des aspirations du patient ». Une précision superfétatoire qui relève de l’évidence dans un bon suivi médical.

L’intervention des bénévoles dans les soins d’accompagnement est également inscrite dans la loi avec l’amendement CS741 de Laurent Panifous (LIOT). Les soins d’accompagnement peuvent s’appuyer sur eux, comme le mentionne l’amendement CS486 de Yannick Neuder (LR). Ils sont des acteurs essentiels dont le rôle doit être valorisé et reconnu. La stratégie décennale prévoit d’ailleurs un doublement des bénévoles d’ici 10 ans (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier »). Encore faut-il que cela ne soit pas pour compenser un manque de moyens donnés aux soins palliatifs.

La reconnaissance d’un droit opposable aux soins palliatifs

Désormais, les soins palliatifs et d’accompagnement sont une obligation de résultat, car ils garantissent le droit fondamental à la protection de la santé suite à l’amendement CS1056 de Sandrine Rousseau (Nupes). Dans la même veine, Thibault Bazin a obtenu, avec l’amendement CS3, que le droit aux soins palliatifs soit reconnu comme un droit opposable qui, s’il n’est pas honoré, peut donner lieu à l’introduction d’un recours devant la juridiction administrative (cf. Pas de nouvelle loi avant de développer les soins palliatifs ?). Ils doivent être « accessibles sur l’ensemble du territoire national » précisent Yannick Neuder comme Jean-Pierre Taite (LR) dans les amendements CS446 et CS1112, et de façon « équitable » ajoute l’amendement CS636 de Jérôme Guedj (Socialistes).

Enfin, la stratégie décennale des soins d’accompagnement fait son entrée dans le Code de la Santé Publique grâce à l’amendement CS1331 de Christophe Marion (Renaissance), ainsi qu’à celui de Gilles Le Gendre (Renaissance) (CS1336). Un moyen de garantir l’effectivité et la mise en œuvre des soins palliatifs. Comme beaucoup de députés de tous bords l’ont souligné hier, il est temps de passer des « belles paroles » du Gouvernement aux actes.

On note en revanche que beaucoup d’amendements porteurs, déposés par de nombreux députés LR notamment, ont été rejetés. Notamment celui qui consiste à rendre obligatoire l’orientation vers les soins palliatifs. « On ne peut faire de l’orientation des soins palliatifs une obligation » coupe Olivier Farloni, rapporteur général du texte et militant de la mort choisie.

Une bribe de débat sur la « dignité »

Enfin, au cours du débat, on peut noter que Philippe Juvin et Thibault Bazin, ou encore Hervé de Lepineau (RN) ont abordé la question de la dignité et notamment celle des personnes handicapées. Un débat qui a émergé au sujet d’une formulation malheureuse du projet de loi qui consiste à dire que les soins d’accompagnement offrent une prise en charge globale « afin de préserver la dignité ». Mais « la dignité est inhérente à la condition humaine, l’idée de dire qu’on va la préserver laisse entendre que dans certains cas la dignité peut être retirée. Dans l’Oregon en 2022, la crainte d’être un fardeau a été citée par 46% des personnes ayant eu recours au suicide assisté donc cette crainte existe » plaide Philippe Juvin (cf. Pour une fin de vie digne de l’humaine dignité). Le débat sur cette question cruciale ne fait que commencer.

En fin de débat, Patrick Hetzel fait par ailleurs remarquer que les soins palliatifs ne sont pas qu’une question quantitative, et qu’il ne faut pas oublier la question de l’éthique des soins. Une question fondamentale et souvent mise en lumière par les professionnels de soins palliatifs qui insistent notamment sur la « promesse de non abandon » et la révolution dans la relation de soin créée par cette médecine (cf. « L’Etat doit-il donner au médecin le pouvoir de dire “parce que vous voulez mourir, je vais vous tuer” ? »). Une question pourtant oubliée des débats en cette première journée. « Il ne faudrait pas appauvrir l’éthique qui a fondé les soins palliatifs » prévient le député, « la part d’humanité doit être préservée ». Elle est capitale quand on parle d’accompagnement, de fraternité, mais encore faut-il ne pas dévoyer les choses au nom de la liberté.

Les travaux de la commission spéciale ont repris mardi 14 mai à 16h30. Vous pourrez à nouveau les suivre sur le compte X de Gènéthique.

Retrouvez ici tous les amendements adoptés.

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