Stimulation cérébrale profonde : trois Espagnols renoncent à l’euthanasie

16 Juil, 2024

Trois personnes qui avaient entamé une procédure de recours à l’euthanasie ont changé d’avis après avoir reçu un traitement neurochirurgical expérimental visant à soulager la douleur à l’hôpital del Mar de Barcelone.

Les trois patients, deux femmes et un homme âgés de 50 à 64 ans, souffraient de douleurs neuropathiques, un type de douleur causée par le système nerveux lui-même en l’absence de stimuli externes douloureux. Aucun des traitements qu’ils avaient reçus ne les avait soulagés.

Agir sur le ressenti de la douleur

« Il s’agit d’une douleur intense, brûlante, constante tout au long de la journée et qui altère la santé mentale », explique le Dr Gloria Villalba, responsable du service de neurochirurgie de l’hôpital del Mar, qui a présenté les deux premiers cas dans la revue médicale Neuromodulation [1].

Deux des trois personnes avaient subi une première intervention neurochirurgicale pour inhiber la « composante sensorielle » de la douleur, régulée par le cortex cérébral et liée à l’intensité de la douleur. Cette chirurgie, pourtant « efficace chez un pourcentage élevé de patients », n’avait pas fonctionné pour eux. Les médecins de l’hôpital del Mar ont alors, « en dernier recours », proposé une seconde neurochirurgie de stimulation cérébrale profonde. Il s’agit d’essayer de moduler la « composante affective » de la douleur, c’est-à-dire la manière dont chaque personne ressent la douleur.

Cette composante dépend d’une région plus profonde du cerveau, le cortex cingulaire antérieur. L’intervention chirurgicale, qui été peu pratiquée, consiste à implanter deux électrodes dans le cortex cingulaire antérieur, une dans chaque hémisphère du cerveau. Les électrodes sont implantées à vie. La batterie qui envoie les stimuli électriques doit, elle, être remplacée tous les trois ou quatre ans. « Les électrodes sont activées en permanence ; les patients ne les règlent pas », souligne le médecin, mais l’équipe médicale peut modifier leur activité si nécessaire. En modulant l’activité de cette zone du cerveau par des stimuli électriques, les médecins espéraient atténuer la douleur sans effets secondaires importants.

Pendant la période postopératoire, les patients prennent un médicament antiépileptique pendant un mois afin de prévenir d’éventuelles crises d’épilepsie, qui peuvent survenir après certaines interventions neurochirurgicales. En outre, le traitement est complété par une thérapie cognitivo-comportementale pour traiter la « composante cognitive » de la douleur (cf. La prise en charge de la douleur, un autre parent pauvre de la médecine).

La douleur ne disparait pas mais cesse d’être « insupportable »

La première intervention a été réalisée en octobre 2022 sur un homme de 64 ans souffrant de douleurs neuropathiques au niveau du sacrum à la suite d’une lésion de la moelle épinière consécutive à un accident de moto. Avant d’entamer les démarches de demande d’euthanasie, il avait fait trois tentatives de suicide. Sa qualité de vie s’est améliorée après l’opération, et il a renoncé à recourir à l’euthanasie. Il est toutefois est décédé six mois plus tard d’une pneumonie.

Les deux autres personnes ayant bénéficié de l’intervention « se portent beaucoup mieux ». Elles ont désormais exclu toute demande d’euthanasie. S.J. souffre de douleurs neuropathiques à la suite d’une précédente opération. Elle a été opérée en septembre 2023. De son côté, M.L., dont les douleurs sont associées à un état de stress post-traumatique et affectent l’ensemble de la tête, a été opérée en novembre 2023.

« La douleur ne disparaît pas après l’opération », précise le Dr Villalba. « Mais en traitant la composante affective de la douleur, celle-ci n’est plus perçue comme insupportable. »

Un quatrième patient de 58 ans à qui l’on a proposé le traitement l’a refusé, et a été euthanasié. Il souffrait de douleurs neuropathiques faciales suite à une opération de chirurgie esthétique.

Des interventions « sous-utilisées et insuffisamment étudiées »

« Ces interventions neurochirurgicales sont sous-utilisées et insuffisamment étudiées, et peuvent être pratiquement inconnues dans de nombreux hôpitaux », déplorent le Dr Gloria Villalba et le Dr Juan Ramón Castaño, psychiatre et co-auteur de l’étude.

Même si les preuves en faveur de la stimulation cérébrale profonde pour le traitement de la douleur neuropathique sont limitées, les deux médecins rappellent qu’en Espagne la loi autorisant l’euthanasie exige que les patients aient « épuisé les options thérapeutiques » et n’aient « aucune perspective d’amélioration » (cf. Espagne : une euthanasie pour dépression refusée en raison des possibilités d’amélioration). Par conséquent, ils considèrent que « les comités d’éthique devraient examiner attentivement le rôle des traitements peu probants qui ont donné des résultats positifs dans certaines populations de patients », comme c’est le cas de la stimulation cérébrale profonde chez les personnes souffrant de douleurs neuropathiques réfractaires à d’autres traitements.

 

[1] Gloria Villalba-Martinez and Juan Ramon Castaño, How Does Neuromodulation for Neuropathic Pain Affect Euthanasia Requests? A Forethought on the Current Situation in Spain Is Needed, Neuromodulation, Vol 27, Issue 5, P944-945, July 2024, https://doi.org/10.1016/j.neurom.2023.12.002

Source : La Vanguardia, Josep Corbella (06/07/2024) – Photo : María Herrera de Pixabay

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