Alors que le conflit en Ukraine fait largement la une de tous les média internationaux, des Français qui ont pu fuir témoignent. Parmi eux, certains s’étaient rendus dans le pays pour « récupérer » un enfant né d’une mère porteuse ukrainienne [1]. Des personnes présentées comme ayant « bravé la guerre », et auxquelles il faudrait maintenant porter secours. En réalité, des commanditaires ayant eu recours à une pratique interdite en droit français, qui tentent parfois de se dédouaner en proposant à la mère porteuse de les accompagner en France. Une proposition qui peut se muer en pression quand l’enfant n’est pas encore né.
« Rapatrier les mères porteuses » ?
Avant que le conflit n’éclate, une mère porteuse avait contacté un avocat pour vérifier que les commanditaires ne pourraient pas la contraindre à quitter son pays, sa famille [2]. Le contrat qu’elle a signé allait-il jusque-là ? Car malgré le conflit, elles sont peu nombreuses à vouloir quitter leur pays, indiquent les avocats de commanditaires irlandais [3].
Et cette « solution » est parfois vite abandonnée par les commanditaires eux-mêmes : « Si elle accouche en France, nous n’avons aucun droit sur l’enfant. Ma mère porteuse est à terme et c’est dangereux », explique Youna [4].
Samedi 5 mars, La Manif pour Tous a dénoncé lors d’un happening que des femmes ukrainiennes soient « coincées à Kiev et à Kharkiv par des ‘GPA commandées’ ». « Ces femmes sont séparées de leur famille, maintenues de force dans les hôpitaux en attendant d’accoucher, sans la possibilité de fuir », dénonce la présidente du mouvement, Ludovine de la Rochère [5]
Le business continue
Mais les guerres sont une occasion de s’enrichir. Et la société BioTexCom, le leader de la GPA en Ukraine qui n’en est plus à une provocation près (cf. Black Friday : des promos aussi sur la GPA !), ne se gêne pas. « Make babies not war », a-t-elle twitté le 23 février. Une « communication insupportable » dénoncée dans un tweet par la journaliste Céline Revel-Dumas, auteur de GPA Le Grand Bluff.
Inna Yefimovych, du département marketing de BioTexCom, explique que « beaucoup de clients dont le contrat est en cours affirment vouloir poursuivre les programmes de fécondation in vitro coûte que coûte » [6]. « Mi-février, la clinique prévoyait que vingt femmes soient inséminées par semaine. Dans les trois mois à venir, environ 200 bébés devraient voir le jour », uniquement par le biais de cette entreprise.
De son côté la clinique Feskov « assure ses clients de la continuité de ses “programmes” dont l’un prévoit de “garantir légalement à 100 % la naissance d’un enfant en bonne santé” grâce au tri d’embryons ». Vu le contexte, « le choix du sexe est offert par la maison », dénonce Céline Revel-Dumas [7].
Birol Aydin, embryologiste et directeur du laboratoire IVMED, témoigne avoir transporté 17 réservoirs contenant 12 000 embryons et ovocytes hors d’Ukraine [8]. La « matière première » est précieuse.
Des clients inquiets
Car les clients sont préoccupés. « La clinique Surrogacy CMC n’a pas encore communiqué sur la conservation du matériel génétique, le déroulement des transferts, le fonctionnement des ambassades et de l’administration pour les actes de naissance », se révolte Théo sur un groupe Facebook dédié à la GPA [9]. Quand Hugo lui se désole : « Ce matin, nous avons appris par notre mère porteuse qu’elle avait fait une fausse couche… Certainement pour donner suite au stress… Nous sommes anéantis… Nous espérons que pour ceux qui sont en plein programme, cela se passe mieux pour vous ». De la santé de la mère porteuse, il ne sera pas question.
Avec ce conflit, « contre toute attente, la gestation pour autrui a révélé son véritable visage », souligne Céline Revel-Dumas : « celui d’un opportunisme commercial insensé satisfait par un égoïsme aveugle » [10].
« La mécanique sous-jacente de la GPA, d’un cynisme implacable, apparaît désormais en pleine lumière, pointe la journaliste : elle révèle un marché sans foi ni loi, des femmes esclavagisées puis jetées, des couples nantis obsédés par leurs propres intérêts et des médias qui se saisissent d’une actualité tragique pour vendre leur programme politique, renonçant à toute déontologie. » « Il n’y a plus qu’à espérer, aussi, une paix des ventres. »
Complément du 05/05/2023 : Un projet de loi interdisant la maternité de substitution pour les étrangers pendant la période de la loi martiale et les trois années suivantes devrait être voté dans les prochains mois.
La clinique BioTexCom de Kiev a indiqué que 140 mères porteuses étaient enceintes de plus de 12 semaines dans sa seule clinique, et que 39 enfants étaient nés par son intermédiaire depuis le mois de février 2022. Avec cette future loi, son directeur médical, Ihor Pechenoha, craint « un manque de clarté sur la situation juridique des embryons stockés dans les cliniques ukrainiennes » (Source : BioNews, Zoe Beketova (02/05/2023))
[1] France Info, Guerre en Ukraine : les derniers Français quittent Kiev (05/03/2022)
[2] The Times, Louise Callaghan, Surrogate mothers fear pressure to flee Ukraine (20/02/2022)
[3] The Times, Julieanne Corr, Surrogate mothers choosing to stay in Ukraine (07/03/2022)
[4] Marianne, Violaine des Courières, GPA : l’Ukraine croule sous les bombes, ces clients français s’inquiètent… pour leur contrat (01/03/2022), le prénom a été changé
[5] Valeurs actuelles, “Exploitée, opprimée, invisibilisée” : à Paris, des militantes de la Manif pour tous dénoncent la GPA en Ukraine (05/03/2022)
[6] Marianne, Violaine des Courières, GPA : l’Ukraine croule sous les bombes, ces clients français s’inquiètent… pour leur contrat (01/03/2022)
[7] Le Figaro, Céline Revel-Dumas, Marché de la GPA en Ukraine: «L’égoïste inquiétude des clients occidentaux face à la détresse des mères porteuses» (01/03/2022)
[8] TMZ, IVF Clinics Under ThreatKYIV DOC TRYING TO SAVE EMBRYOS (05/03/2022)
[9] Marianne, Violaine des Courières, GPA : l’Ukraine croule sous les bombes, ces clients français s’inquiètent… pour leur contrat (01/03/2022), le prénom a été changé
[10] Le Figaro, Céline Revel-Dumas, Marché de la GPA en Ukraine: «L’égoïste inquiétude des clients occidentaux face à la détresse des mères porteuses» (01/03/2022)