La vie de Vincent Lambert est suspendue à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Lambert et Autres v. France. Il est habituel de lire dans les médias que Vincent Lambert est en fin de vie et qu’il faudrait le “laisser partir”. Gènéthique a souhaité rencontrer le Professeur Ducrocq, neurologue au CHU de Nancy et conseil médical des parents de Vincent Lambert. Il a accepté de répondre aux questions de Gènéthique au sujet de l’état de santé du jeune tétraplégique, plongé dans un état pauci-relationnel.
Gènéthique: Professeur, vous avez été sollicité pour devenir conseil médical des parents de Vincent Lambert. Pour quelles raisons avez-vous accepté ?
Professeur Xavier Ducrocq : Je suis intervenu à partir de la première décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (11 mai 2013) qui a suspendu l’arrêt de l’alimentation de Vincent Lambert. Pierre et Viviane Lambert étaient à la recherche d’un conseil médical pour défendre leur fils. J’ai été contacté au regard de mes compétences en Neurologie et de mes responsabilités au comité d’éthique du CHU de Nancy que je préside. J’ai accepté compte tenu des éléments que j’avais à ma disposition :
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Vincent Lambert aurait demandé à mourir. C’est physiquement impossible. “Il refuse les soins, il se jette en bas de son fauteuil” m’a-t-on dit. Mais Vincent Lambert est tétraplégique, il ne peut pas parler, ni établir de code de communication fiable, et encore moins se jeter de son fauteuil.
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L’état de Vincent Lambert ne présente pas de complication. Il ne fait pas de fausses routes, comme cela peut arriver quand on est nourri par gastrotomie. Il ne fait pas non plus de complication respiratoire. Il n’a aucune assistance vitale contraignante.
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Quand j’apprends que l’alimentation a été suspendue pendant 31 jours, je frémis. Comment une équipe médicale peut-elle supporter une telle situation ? Pour moi, l’arrêt de son alimentation n’a d’autre but que de mettre fin à sa vie, c’est donc une euthanasie. L’intention et la finalité du geste n’ont qu’un seul et même but, c’est mettre fin à la vie de Vincent Lambert. Dans son cas, l’alimentation et l’hydratation ne sont pas une obstination déraisonnable.
En découvrant le dossier, je fais tout de suite appel au Dr Bernard Jeanblanc[1] qui est un praticien connaissant très bien la vie quotidienne de ces patients et de leurs proches. Sa connaissance “terrain” m’aide et nos analyses sont complémentaires.
G.: Avez-vous pu constater que l’état de Vincent Lambert s’est dégradé?
Pr X.D.: Depuis le début de l’affaire, je constate que Vincent est dans un état stable, il n’est vraiment pas en fin de vie ! Il y a peut-être eu, fin 2012, un changement dans son comportement. Mais on ne peut en aucun cas l’interpréter. Avec des patients en état pauci-relationnel, nous sommes toujours dans l’incertitude et le risque de la surinterprétation. Dire que Vincent Lambert veut mourir est de la surinterprétation. C’est même une erreur médicale. D’autant plus que le changement de comportement observé par l’équipe médicale intervient à une époque où une prise en charge orthophonique et toute kinésithérapie ont été stoppées.
Ce qui m’étonnera, plus tard, dans cette affaire, ce sont les insuffisances des investigations médicales menées par les experts nommés par le Conseil d’Etat. Je ne m’explique pas que Vincent Lambert n’ait pas bénéficié d’une IRM fonctionnelle. Il s’agit d’un outil prometteur pour mieux déterminer le niveau de conscience des personnes situées dans ce continent méconnu qu’est l’“état végétatif chronique“. En outre, les experts médicaux n’ont pas examiné Vincent Lambert en présence de familiers – ses parents par exemple, très présents depuis des mois maintenant auprès de Vincent -, pour voir s’il réagissait différemment. Or, c’est le b.a.-ba pour se prononcer sur l’état de conscience de ces patients. Il aurait fallu une évaluation, pluridisciplinaire, sur plusieurs semaines au sein d’une autre équipe familière de ces personnes. Mais ça n’a pas été le cas, faute de temps sans doute. Et c’est particulièrement regrettable.
Les trois experts ont pourtant estimé, en des termes très mesurés, que Vincent Lambert est plutôt en état végétatif que pauci-relationnel. Les commentateurs y ont immédiatement vu la preuve de l’aggravation de son état de santé et ont expliqué qu’il était bien en fin de vie. Sauf que ce n’est pas là l’évolution naturelle d’un état pauci-relationnel et que ça fait deux ans que Vincent serait en fin de vie [2]. Dès lors il n’y a rien à comprendre de l’investissement et des prises de position de grands ténors des soins palliatifs – jusqu’à la CEDH, auprès des représentants du Gouvernement français – dans cette affaire Vincent Lambert. Elle n’a rien à voir avec les préoccupations des soins palliatifs.
G.: Est-ce que Vincent Lambert souffre?
Pr X.D.: Les avis des experts et soignants de Vincent Lambert divergent sur cette question, particulièrement difficile. Des travaux ont montré que des personnes en état de conscience minimale ressentent la douleur. Lorsque le Dr Eric Kariger affirme que Vincent Lambert souffre mais qu’il n’en a pas la perception consciente – ce que les experts ont évoqué comme possible -, on touche là aux confins de ce que, scientifiquement, on est autorisé à dire. Par définition, la douleur, au sens où on l’entend communément, est consciente, il s’agit d’une “expérience sensorielle” [3]. Cette définition sous-entend qu’il y a une stimulation qui arrive au cerveau et que celui-ci intègre. La douleur est éminemment subjective et donc très difficile à évaluer chez les personnes non communicantes. Cela dit Vincent a, à plusieurs reprises, donné des signes traduisant un inconfort, digestif ou autre. Il suffit de demander à ses soignants ou ses parents qui en sont témoins. Dans ces cas-là il s’agite, en particulier il remue la jambe gauche. Je doute que ce ne soit là qu’une manifestation réflexe !
Devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le juge maltais a posé la question de savoir si les signes de souffrances observés sont toujours présents. Personnellement, je ne les ai jamais vus. Je n’ai jamais constaté de signes de souffrance, et donc pas plus maintenant. Son état est parfaitement stable.
G.: Est-ce que Vincent Lambert est victime d’un acharnement thérapeutique?
Pr X.D.: Non ! L’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert ont été arrêtées et limitées car assimilées à des traitements disproportionnés. Or, la finalité de la nutrition c’est de vivre, pas de guérir. La nutrition administrée de façon artificielle ne fait que suppléer une fonction défaillante. Vincent Lambert ne peut pas porter lui-même les aliments à la bouche, mais il pourrait être nourri par la bouche, si on lui en donnait les moyens par une rééducation appropriée et si on en prenait le temps, puisqu’il déglutit sa salive et qu’il ne fait pas de complication respiratoire (pneumopathie).
D’autres patients sont nourris, comme lui, par gastrotomie. C’est le cas de patients atteints de cancers ORL, ou qui ont subi un AVC grave et qui n’ont pas récupéré la déglutition. Ils vivent très bien et longtemps.
En outre, il faut faire le distinguo entre deux formes de nutrition artificielle, qui ne donnent pas lieu aux mêmes contraintes : la nutrition parentérale (voie veineuse), qui est très contraignante et la nutrition entérale, qui utilise les voies digestives. Ce n’est pas le même niveau d’artifice. Je pourrais être nourri par gastrotomie que vous ne vous en rendriez pas compte.
Je ne vois pas comment on pourrait caractériser le caractère déraisonnable de l’alimentation et de l’hydratation autrement qu’en posant un jugement de valeur sur le sens de la vie de Vincent Lambert. S’il était en fin de vie, ou si des complications de cette nutrition intervenaient, il deviendrait alors possible de considérer les choses autrement.
G.: Qu’est-ce qui peut attendre Vincent Lambert ?
Pr X.D.: Dans le cas où la CEDH donnerait raison à la France, la question qui se posera, sera de savoir qui va exécuter la sentence ? Le Dr Kariger n’est plus là. Vincent serait peut-être transféré dans une autre unité de soins palliatifs pour mettre fin à l’“obstination déraisonnable” avec un « protocole de fin de vie » pour reprendre l’expression du Dr Kariger. Mais cette équipe serait-elle tenue d’appliquer la décision sans devoir la reprendre à son compte ?
Pour ma part, je lui souhaite d’être transféré ailleurs : dans un lieu de vie adapté, où la loi du 3 mai 2002, propre aux patients comme Vincent, est appliquée. Son transfert dans l’unité de vie spécialisée du Dr Jeanblanc est suspendu à la décision de la CEDH, alors qu’il y est attendu depuis 2 ans.
G.: Que pensez-vous de la proposition de loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie?
Pr X.D.: Je ferai deux remarques, concernant l’impact de modifications proposées sur la relation médecin-malade et ensuite sur la sédation.
D’abord, je pense que faire croire aux patients, avec le caractère opposable des directives anticipées, que ce sont eux qui décident unilatéralement, ne fera que générer des conflits. La relation de confiance qui doit prévaloir entre un patient et son médecin disparaîtra au profit d’une relation contractuelle, sous-tendue par de la méfiance, sinon la défiance des deux côtés.
De plus, l’article 5 de la proposition de loi supprime une phrase essentielle de l’article L1111-4 du Code de la santé publique, à propos du droit des patients de refuser tout traitement ou toute investigation : “Le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables”. Retirer au médecin cette possibilité, ce devoir, coupe court à toute relation d’aide, de soutien. Dans ces conditions, que pourra faire un médecin devant opérer un patient qui accepte l’intervention chirurgicale, mais refuse toute réanimation en cas de nécessité ?
Il est très regrettable que Mrs Claeys et Leonetti n’aient pas saisi cette occasion pour donner plus de contenu à la démarche décisionnelle à conduire dans des situations difficiles de fin de vie. Le Conseil de l’Europe, ainsi que le CCNE dans ses observations au Conseil d’Etat dans le cadre de l’affaire Vincent Lambert, ont fait des propositions tout à fait remarquables à ce sujet. Voilà qui aurait cultivé la relation de confiance entre soignants et patients. Cette proposition favorise la défiance au dépend de la confiance, c’est regrettable.
La proposition de loi s’affranchit du principe du double effet, appliqué notamment à la sédation. Celle-ci devient « continue, profonde, jusqu’à la mort » et s’accompagne d’un arrêt de toute nutrition et hydratation. Elle programme la mort donnée, donc l’euthanasie, qu’elle se garde de nommer. Il ne restera, pour différencier soulagement de souffrances et euthanasie que l’intention de celui qui fait le geste. Seule l’intention – recherche d’un soulagement, ou recherche de la mort – fera que ce qui est écrit dans la loi n’est pas forcément et systématiquement une euthanasie.
Le plus inquiétant, à propos de Vincent Lambert, c’est que ceux qui ont rédigé cette proposition ont bien dit qu’elle résoudrait les situations les plus difficiles, comme celle de Vincent Lambert. La loi crée ainsi les conditions d’une élimination de ces personnes à laquelle il sera bien difficile d’opposer une résistance. Vincent ne sera que le premier d’une longue série.
Une remarque enfin sur la portée générale de cette proposition de loi. Elle vise à créer de “nouveaux droits en faveur des malades ET des personnes en fin de vie” (cf. Gènéthique vous informe du 21 avril 2015). Cette formulation laisse penser que les droits des malades et des personnes en fin de vie sont similaires. Or des mesures qui ne posent pas de problèmes éthiques en fin de vie risquent d’en poser pour des malades qui ne le sont pas, comme l’illustre le cas de Vincent Lambert.
1- Le Dr Bernard Jeanblanc est Chef de service d’une unité pour polyhandicapés et d’une unité de vie spécialisée pour les « pauci-relationnels » à la Maison de Santé Bethel (Oberhausbergen, Alsace).
2- L'”affaire” Vincent Lambert a commencé au printemps 2013. L’équipe médicale, en arrêtant son alimentation et réduisant son hydratation, a estimé qu’il était en fin de vie.
3- Selon la définition officielle de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP).