Les autorités ukrainiennes ont déclaré qu’« une centaine de bébés nés de mères porteuses sont bloqués en Ukraine, leurs parents étrangers ne pouvant venir les récupérer en raison de la fermeture des frontières à cause du coronavirus ». Des bébés qui deviendront « américains, italiens, espagnols, anglais, chinois, français ou allemands une fois la crise du Covid-19 terminée ». En effet, avec la pandémie, « les parents étrangers ont besoin d’une autorisation spéciale pour entrer en Ukraine, délivrée par Kiev sur demande de leur pays d’origine ». Ce que certains pays ont refusé de faire, comme la France, où la GPA est interdite. Selon Lioudmyla Denysova, chargée des droits humains auprès du Parlement ukrainien, si la situation perdure, « d’autres enfants vont naître et “leur nombre pourrait atteindre presque un millier” ». L’Ukraine est devenue « une destination de plus en plus populaire pour des parents voulant pratiquer la GPA, notamment en raison de prix relativement bas, 28.000 euros en moyenne » (cf. Un couple saisit le tribunal administratif pour aller chercher en Ukraine un “bébé GPA” ; Epidémie de Covid-19 : « les rapports de force de l’industrie de la GPA mis à nu » )
« Alertée » par les images diffusées par la clinique de GPA à Kiev BioTexCom qui « a improvisé une grande crèche (appelée « chambre maternelle » malgré l’absence de mères) dans le hall de l’Hôtel Venezia, où sont hébergés 46 nouveau-nés et nourrissons, âgés de quelques heures à quelques semaines », et ce sans « aucune certitude quant à l’état de santé psychophysique de ces enfants ou quant à leur prise en charge adéquate », la Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution (CIAMS) interpelle le président ukrainien dans une lettre ouverte afin que « des mesures soient prises pour assurer au mieux la sécurité de ces nouveaux nés ». Pour le CIAMS qui rappelle que « la GPA a été expressément reconnue par la Rapporteuse spéciale des Nations-Unies comme de la vente d’enfants au sens du Protocole additionnel à la Convention des droits de l’enfant (Rapport 2018) » et que le Parlement européen « a condamné sa pratique ″qui va à l’encontre de la dignité humaine de la femme, dont le corps et les fonctions reproductives sont utilisés comme des marchandises″ », « la situation de ces enfants, bloqués en Ukraine, en raison des mesures de protection liées à la pandémie actuelle, est symptomatique des méfaits que peut engendrer le recours à la maternité de substitution transnationale ».
Ce que confirme la juriste Betty Mahaur, « ce n’est pas le Covid-19 qui sépare les enfants de leurs parents, c’est la GPA ». « Les couples concernés s’inquiètent de ces enfants qui ″vont naître seuls″. Si cette solitude est traumatisante pour le nouveau-né, que dire de sa première séparation avec la mère porteuse ? » interroge-t-elle. Et devant l’inquiétude d’un couple normand commanditaire face à ces bébés nés « seuls, sans leurs parents », elle dément : « un enfant ne naît pas seul ». « Cela n’est pas possible, affirme la juriste. Au contraire, l’accouchement est un processus qui implique nécessairement deux personnes : la mère et son nouveau-né. Il n’existe pas d’enfants qui tomberaient ex nihilo du ciel. Loin d’être un isolement, la naissance est la prolongation d’un lien établi entre la mère et son nouveau-né tout au long de la grossesse, certifie-t-elle. Ce lien n’est ni philosophique ni abstrait, il est avant tout biologique ». « Pour le droit français, ce lien corporel est tellement évident qu’il fonde juridiquement la maternité : est mère, celle qui a accouché », rappelle Betty Mahaur. Et « ce qui va créer l’isolement de l’enfant dans cette situation, ce n’est ni sa naissance, ni le Covid-19, mais le contrat de GPA ». « Le contrat de droit ukrainien organise la séparation de l’enfant avec sa mère-porteuse, et dans un second temps la remise de ce dernier au couple cocontractant, précise la juriste. La première isolation du nouveau-né est donc une conséquence logique du contrat, la seconde est une faille du contrat ».
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik indique que « le stress d’une mère pendant la grossesse, lié à l’isolement, les violences conjugales ou la précarité va provoquer des altérations cérébrales chez le nouveau-né qui peuvent s’installer durablement si l’on ne fait rien ». Des situations de stress auxquelles sont « particulièrement vulnérables » les mères porteuses, souligne Betty Mahaur. « En plus des contrôles intrusifs liés au contrat de GPA pendant la grossesse, elles connaissent fréquemment des situations de pauvreté. » Le fondateur de BioTexCom indique que « “ses” mères porteuses touchaient généralement moitié moins que le salaire minimum avant de devenir mères porteuses, soit moins de 90€ / mois ». « Certaines femmes seraient même contraintes de devenir mère porteuse pour financer le système de chauffage de leur maison. »
Pour la juriste, alors qu’il y a « un continuum entre les 270 derniers jours de grossesse et les 730 premiers jours de la vie de l’enfant, reconnu à la fois par la science et le politique », comme en témoigne la mise en place par le gouvernement français d’« une commission d’experts pour mieux accompagner les “1000 premiers jours” de nouveau-nés », « à ce stade, la science semble indiquer qu’être né de GPA est une situation à risque pour le développement des enfants ».
Pour aller plus loin :
- GPA : les décisions de la Cour d’appel de Rennes fragilisent le lien de filiation
- Etats-Unis : une mère porteuse meurt en couches, laissant un mari et deux enfants
- Ukraine : une enfant née par GPA abandonnée en raison de son handicap
- GPA en Ukraine : « On n’encadre pas un acte de disposition d’un enfant, on l’interdit et on le sanctionne »
- GPA à l’étranger : La clientèle française
- Parents d’intention vs parents biologique : la fiction juridique créée par les commanditaires de GPA
AFP (14/05/2020) – CIAMS (11/05/2020) – Aleteia, Betty Mahaur (14/05/2020)