Insémination post-mortem : « Le juge devient roi »

Publié le 8 Juin, 2016

Le Conseil d’Etat a autorisé fin mai une femme à récupérer le sperme congelé en France de son défunt mari, pour procéder à une insémination post-mortem en Espagne (cf. Insémination post mortem : Le Conseil d’Etat français accède à la demande d’une veuve espagnole). Cette décision inattendue a suscité de nombreuses réaction : L’influence de la CEDH sur l’évolution du droit de la famille en France , L’insémination post-mortem ou la mort de la filiation, Insémination post-mortem : « Aucune justification ne saurait légitimer l’intervention médicale ».

 

Jean Baptiste Chevalier, avocat au barreau de Paris, analyse à son tour les conséquences de cette « lourde question éthique ». Dans le cas de cette veuve, le Conseil d’Etat a « décidé d’écarter ponctuellement l’application d’une loi française estimant que celle-ci, pourtant reconnue compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme, portait une atteinte ‘manifestement excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante’ ».

 

La loi française interdit « expressément l’insémination post-mortem et l’exportation de gamètes en vue d’une insémination post-mortem », se basant sur l’intérêt de la femme, l’intérêt supérieur de l’enfant et l’exigence d’un consentement libre et éclairé de chacun des géniteurs. Mais « le Conseil d’Etat n’a pas voulu s’en tenir au droit positif », et il a « franchi un pas supplémentaire » : il s’autorise non seulement à contrôler la compatibilité des lois aux traités de la CEDH, et « en cas d’incompatibilité à en écarter l’application », mais aussi ici « à écarter l’application d’une loi compatible avec les stipulations de la CEDH, lorsqu’elle constitue une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention ».

 

Pour Jean Baptiste Chevalier, « il s’agit d’un changement radical, un changement de paradigme » qui impacte le statut de la Loi et le rôle du juge. A l’instar de cette décision, « les droits (individuels) pourront toujours primer sur la Loi (générale) ». Ainsi « chacun peut revendiquer son droit pour faire échec à l’application de la Loi »,  laissée à la seule appréciation des juges. C’est « un remarquable affaiblissement du législateur et de l’exécutif, qui perdent en partie le contrôle de l’application des lois ». La « Loi ne sera donc plus qu’‘en principe’ la même pour tous. C’est le juge qui décidera (…) ». Par cette décision emblématique du Conseil d’Etat, « le juge devient roi ».

 

Le blog Droit administratif (Jean Baptiste Chevalier) 8/06/2016

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