Gestation Par Autrui : pas d’obligation de transcrire l’acte de naissance qui indique une maternité d’intention

Publié le 11 Avr, 2019

A la demande de la Cour de Cassation, la Cour Européenne des Droits de l’Homme vient d’émettre un avis concernant la transcription à l’état civil de la maternité d’intention dans les cas de Gestation Par Autrui (cf. Etat civil et GPA : La Cour européenne des droits de l’homme répondra aux questions de la Cour de cassation). Si la Cour ne l’impose pas, elle estime nécessaire d’établir en droit interne la maternité d’intention de la mère d’intention, par exemple en ayant recours à l’adoption (cf. GPA : la CEDH ne préconise pas la transcription des actes de naissance ). Aude Mirkovic décrypte pour Gènéthique sur les éléments de cet avis.

 

Gènéthique : Quelle est la question posée par mal Cour de Cassation à la CEDH ? Quel est le problème qui se pose ?

Aude Mirkovic : Lorsque des Français vont à l’étranger se procurer un enfant par GPA, dans un État où la pratique est légale, la naissance de l’enfant est déclarée dans le pays en question et l’acte de naissance est dressé sur place. De retour en France, les commanditaires ou parents d’intention demandent la transcription de l’acte de naissance sur les registres français d’état civil. La Cour de cassation permet la transcription des actes conformes à la réalité, c’est-à-dire ceux qui indiquent comme parents le père biologique et la mère porteuse car, en droit français, la mère est celle qui accouche. En revanche, elle refuse la transcription des actes qui désignent comme mère la femme commanditaire, mère d’intention, car ces actes sont non conformes à la réalité. Mais, saisie d’une nouvelle affaire en octobre 2018, elle a jugé bon de demander à la Cour européenne des droits de l’homme son avis sur la marge de manœuvre dont disposent les États sur ce point. Autrement dit, elle a demandé à la Cour européenne si elle pouvait continuer à refuser la transcription des actes de naissance qui indiquent comme mère la « mère d’intention », qui n’est pas la mère de naissance de l’enfant.

 

G : Quel est l’avis émis par la Cour des droits de l’homme ?

AM : La Cour européenne répond que les États n’ont pas d’obligation de transcrire de tels actes de naissance. Merci beaucoup, a-t-on envie de répondre, il ne manquerait plus que cela ! Mais, au passage, la Cour européenne précise que les États ont l’obligation de prévoir une possibilité de faire établir en droit interne la maternité de cette femme, l’adoption par exemple.

 

G : Quelle est l’incidence de cet avis sur le droit français ?

AM : Il est déjà suivi, la Cour de cassation admet déjà l’adoption de l’enfant par le conjoint ou la conjointe du père. Il n’y avait aucune utilité à poser cette question : la stratégie est de poser une question aberrante, ce qui permet à la Cour européenne de feindre une position modérée alors qu’en réalité, sous couvert de laisser le choix aux États, elle ne leur laisse le choix que sur les moyens mais impose de prévoir la possibilité de faire établir en droit interne la maternité d’intention. 

 

G : Que devient l’adage “mater semper certa est” dans ce contexte ? Que propose la CEDH dans le cas particulier où la mère d’intention est aussi donneuse d’ovocytes ?

AM : Elle ne se prononce pas sur ce point précis. Le problème est que la Cour européenne considère d’emblée cette maternité d’intention comme étant la filiation de l’enfant, alors que cette femme n’est pas la mère de l’enfant en vertu du droit, elle est devenue « mère » en vertu d’un contrat par lequel elle a convenu ce transfert de maternité avec la mère porteuse. Tout est faussé depuis le départ. La cour européenne ne tient pas compte de ce donné qui est le principe même de la GPA, à savoir priver l’enfant de sa filiation maternelle d’origine. La GPA va même plus loin, car elle commence par rendre la filiation maternelle de l’enfant illisible, en répartissant ses différentes dimensions entre plusieurs femmes (la gestatrice et la génitrice, fournisseuse de l’ovocyte), pour pouvoir mieux en priver l’enfant. Ensuite, on a beau jeu de considérer sans discussion que cette femme qui a programmé cette effacement de la filiation maternelle de l’enfant est elle-même la mère, mère d’intention. On oublie que l’enfant est d’abord privé de sa filiation maternelle d’origine.

 

G : L’avis respecte-y-il les droits de l’enfant ?

AM : L’avis n’impose pas la transcription de l’acte de naissance et suggère l’adoption. C’est déjà une bonne nouvelle car, contrairement à la transcription, l’adoption n’officialise pas un mensonge d’origine sur la filiation de l’enfant et n’efface pas son histoire. En effet, l’état civil a pour rôle de relater des faits et l’acte de naissance relate le fait de la naissance et le droit français interdit et sanctionne pénalement l’inscription dans l’acte de naissance d’une femme qui n’a pas accouché de l’enfant. Cette règle n’est pas là par hasard mais pour préserver les enfants contre les trafics de toute sorte. Le seul moyen de désigner légalement comme mère une femme qui n’a pas porté l’enfant est l’adoption, et la procédure d’adoption permet au juge de vérifier que l’enfant n’est pas issu d’un trafic et que la désignation de cette femme comme sa mère est conforme à son intérêt. Ensuite, la transcription du jugement d’adoption tient lieu d’acte de naissance, ce qui permet à l’état civil de désigner les parents adoptifs comme parents sans prétendre qu’ils seraient les parents de naissance. Au contraire, la transcription de la maternité dite d’intention reviendrait à désigner cette femme comme mère de naissance, au prix d’un mensonge sur la filiation de l’enfant et d’une occultation de son histoire.

 

Autrement dit, la transcription de l’acte américain[1] imposerait à l’enfant, en plus de la GPA qu’il a déjà subie, une sorte de faux en écriture publique en guise d’acte de naissance. L’adoption par la mère d’intention lui épargne cela, ce qui n’est déjà pas si mal. Pour autant, l’adoption est ici dévoyée : en effet, l’adoption a pour but de réparer le fait qu’un enfant soit privé par les malheurs de la vie d’un de ses parents ou des deux. Dans le cas de la GPA, elle sert à achever un processus qui prive l’enfant délibérément de sa mère de naissance pour le rendre « adoptable », disponible pour réaliser le projet d’autrui. Le seul moyen de respecter les droits de l’enfant, c’est de lutter contre la GPA, réellement et efficacement. Et, si des enfants naissent malgré tout de la GPA, la réponse apportée par le droit français jusqu’à 2015 était la seule valable : refuser tant la transcription que l’adoption, pour ne pas cautionner la violation des droits de l’enfant qui résulte de la GPA. Il n’en résultait aucun dommage pour les enfants car ils bénéficiaient de la filiation découlant de leurs actes de naissance étrangers, qui produisait ses effets en France. Ces enfants n’ont jamais été sans filiation, contrairement à ce qui a été prétendu. La transcription n’a rien d’obligatoire et la filiation non transcrite produisait ses effets, ce qui permettait à la justice français d’exprimer sa réprobation à l’égard de la GPA subie par l’enfant sans porter préjudice à ce dernier. La seule contrainte qui résultait de l’absence de transcription était administrative, et ne concernait que les parents. Depuis 2015, la Cour de cassation a démissionné, elle juge les cas sans tenir compte de la GPA, comme s’il ne s’était rien passé, ce qui réalise un déni de la violation des droits de l’enfant. Ensuite, on pourra bricoler tout ce qu’on voudra pour donner à ce déni des apparences de technique juridique, cela demeure un déni de justice.

 

G : Pourquoi la Cour de Cassation s’est-elle tournée vers la CEDH pour demander cet avis ?

AM : La cour de cassation ne peut quand même pas ignorer totalement la loi française qui interdit de porter sur l’acte de naissance original de l’enfant une femme qui n’a pas accouché. En posant la question à la Cour européenne, elle savait très bien que la Cour n’imposerait pas la transcription de ces actes non conformes à la réalité. Mais poser la question permet de présenter la transcription comme possible, envisageable. Poser une question à la Cour européenne entretient l’idée qu’il y aurait des difficultés juridiques à régler, un problème. Le seul problème, c’est que la Cour de cassation ferme les yeux sur la GPA et crée une situation en effet lunaire dans laquelle l’intérêt de l’enfant sert de prétexte à cautionner la maltraitance tant humaine que juridique qui résulte pour lui de la naissance par GPA. La Cour européenne parle de l’impossibilité pour l’enfant de faire reconnaître sa filiation en France, ce qui est faux : je répète que la filiation qui découle des actes étrangers a toujours produit ses effets en France et la Cour de cassation l’avait dit on ne peut plus clairement. D’ailleurs, dans le cas précis, les parents indiqués sur les actes américains exercent en France l’autorité parentale depuis 18 ans, sans que cela n’ait jamais été contesté. Ni la transcription ni l’adoption n’apportent rien à l’enfant, elles sont demandées par les adultes pour que la justice efface la GPA qu’ils ont fait subir à l’enfant, c’est tout.

 

G : Que faire pour protéger les enfants ?

AM : La loi et la justice française ne peuvent empêcher totalement les Français de se rendre à l’étranger pour se procurer des enfants par GPA : en revanche, elles peuvent œuvrer pour qu’il y en ait le moins possible, en adoptant des mesures répressives pour la loi et en refusant de fermer les yeux sur le processus pour les juges.

Le seul fait que la Cour de cassation envisage la transcription des actes de naissance en demandant un avis à la Cour européenne sur un point qui ne devrait même pas être en discussion est problématique. Plus que jamais, l’intervention du législateur pour sanctionner le recours à la GPA, y compris à l’étranger, apparaît nécessaire. Si chaque lecteur de ces lignes écrit un mail à ce sujet à son député, cet avis de la CEDH n’aura pas été inutile !

 

Pour aller plus loin :



[1] Dans le cas Mennesson : cf. GPA : l’affaire Mennesson réexaminée

 

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

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Maître de conférence en droit privé, Porte-parole et Directrice juridique de l'association Juristes pour l'Enfance

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