Un cas d’empoisonnement dans un hôpital de Tours utilisé – à tort – comme argument pro-euthanasie

Publié le 14 octobre 2025
Un cas d’empoisonnement dans un hôpital de Tours utilisé – à tort – comme argument pro-euthanasie
© iStock - fcafotodigital

En novembre 2019, dans une chambre de l’hôpital Bretonneau de Tours, un homme de 82 ans décède des suites d’injections à haute dose. Ce décès est encore entouré de beaucoup d’inconnues, mais on sait déjà qu’il connaîtra de longues suites judiciaires[1].

Un crime qui fait débat avant même d’être jugé

L’avocat de Louis Jouny, la victime, est formel : il ne s’agit pas d’une euthanasie, mais d’un « empoisonnement avec préméditation »… par un médecin, dans un contexte où le patient aurait demandé à mourir. Il refuse toute extrapolation, tout débat qui dépasse le strict cadre de l’affaire[2].

Ce qui n’empêchera pas d’intervenir dans la presse Alain Fiévez, délégué départemental d’Indre-et-Loire de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD)[3]. D’après lui, le caractère scabreux de ce crime « résulte d’une absence de cadre ». Il saisit l’occasion pour répéter le credo de l’association à propos de l’euthanasie : « Ces actes doivent s’inscrire dans une loi qui offre des conditions satisfaisantes pour quitter la vie ».

Quelques éléments factuels : le volet crapuleux de l’affaire

Franck L., 57 ans, a été entendu le 9 octobre 2025 au tribunal correctionnel de Tours. Il est seul à la barre : son épouse, l’infirmière Samira L. s’est donné la mort en mai 2022. Le couple a été accusé de complicité d’empoisonnement avec préméditation.

Courant 2019, des salariés d’un magasin d’ameublement ont été surpris de voir une femme se faire offrir des objets coûteux par un homme âgé qu’elle vouvoyait. Il s’avère que le couple se faisait offrir des cadeaux par Louis Jouny. Achats extravagants, virements suspects, la somme totale dont le couple a bénéficié est estimée à environ 185 000 euros[4].

Pour l’instant, il ne s’agit que d’un procès autour de flux financiers. Fin 2026 en revanche s’ouvrira un procès aux assises pour empoisonnement avec préméditation.

Le volet criminel : un médecin soupçonné d’avoir empoisonné son patient

Sera alors jugé le Dr Georges B., médecin généraliste à la retraite. Il persiste à définir sa démarche comme « purement thérapeutique », et à affirmer son innocence.

Les causes exactes du décès de Louis Jouny sont incertaines. Selon l’accusé, il aurait expiré à la suite de complications rencontrées durant son hospitalisation. Le parquet évoque un empoisonnement poly-médicamenteux. On ne sait pas si le Dr Georges B. assume avoir administré « un puissant neuroleptique » à son patient ou simplement un « placebo ». Quoi qu’il en soit, le médecin n’est pas concerné par le volet financier de l’affaire[5].

Une euthanasie ?

Comme l’avocat de la victime, celui de ses deux nièces, Me Morin, est formel : « Il ne s’agit pas d’euthanasie mais d’un empoisonnement prémédité ». Pour l’affirmer, il met en avant ce qu’il perçoit comme une vulnérabilité de l’octogénaire : il décrit un homme épuisé, déprimé, mais aux facultés intellectuelles intactes.

« Nous sommes en présence d’une victime qui se trouvait dans un état de vulnérabilité incontestable en raison de son âge et de son isolement. Il s’est retrouvé dépouillé de ses biens et de sa fortune et a été empoisonné ». En outre, personne ne le décrit comme « en fin de vie », ni en proie à des douleurs insupportables[6].

Pourtant, d’après l’instruction, Louis Jouny demandait à mourir

« La veille des faits, (il aurait déclaré à sa nièce que) sa mort était programmée le lendemain. Cela lui a paru tellement énorme qu’elle n’y a pas cru », relate l’avocat. L’ancien hydrographe s’était renseigné à propos d’un voyage en Suisse, dans le but d’y subir un « suicide assisté » dans un pays où la pratique est légale (cf. Suicide assisté en Suisse : pas de réglementation mais des chiffres à suivre).

Les questions restent nombreuses : Louis Jouny a-t-il formulé une demande d’aide au suicide de façon autonome, sans subir d’influence extérieure, et répétée ? Il était en pleine possession de ses facultés intellectuelles, mais fragilisé sur le plan psychologique et affectif : comment être sûr que son choix était libre ? (cf. « Est-on vraiment libre, quand la mort est préférable à la vie ? »). On ne connait rien de la nature des échanges qu’il a pu avoir avec son médecin et son infirmière, ni leurs rôles respectifs précis dans le décès du vieil homme.

Pour l’ADMD, une loi serait la solution pour éviter de nouvelles victimes « euthanasiées contre leur gré »

Selon le militant Alain Fiévez, de l’ADMD, cette affaire montrerait les conséquences délétères de l’absence de législation en matière d’euthanasie et de suicide assisté. Une loi encadrant ces pratiques serait la solution pour éviter de nouvelles victimes « euthanasiées contre leur gré ».

« La première question est de savoir si le patient avait énoncé son souhait et réitéré ce dernier », commente Alain Fiévez. Il souligne aussi qu’une éventuelle « maladie grave et incurable » n’a pas été évoquée. D’après sa logique, ces deux critères sont nécessaires pour distinguer une euthanasie qui devrait selon lui être légale, d’un meurtre qui doit rester qualifié de crime. Si le choix de mourir est librement consenti, alors le patient qui a exprimé cette volonté devrait être « accompagné » (cf. Ultime liberté : le refus de la vulnérabilité).

D’après les militants de l’ADMD, la proposition de loi actuellement en discussion serait à même de garantir que les patients euthanasiés auront formulé un choix « libre et éclairé ». Cette loi, disent-ils, « protégera les patients des dérives »[7].

Pourra-t-on être vraiment sûrs qu’un patient euthanasié en aura fait une demande claire et réitérée ?

La proposition de loi « relative au droit à l’aide à mourir » indique que, pour que sa demande soit prise en compte, le patient doit « être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée » ; plus loin, le texte dit : « La personne dont le discernement est gravement altéré lors de la démarche de demande d’aide à mourir ne peut pas être reconnue comme manifestant une volonté libre et éclairée ». En revanche le texte ne précise pas les modalités de contrôle du caractère apte ou inapte du patient à manifester sa volonté, ni les modalités de contrôle du caractère altéré ou non de son discernement. Ce sera le médecin qui recevra la demande qui aura la responsabilité de qualifier l’état de son patient (cf. « Droit à l’aide à mourir » : l’essentiel du texte sur lequel les députés vont se prononcer).

Alain Fiévez rappelle que personne ne peut attester du fait que Louis Jouny a fait une demande claire et réitérée. Son entourage savait qu’il voulait mourir, mais a-t-il réellement demandé à être euthanasié ? Les demandes de mort sont souvent ambivalentes comme en témoignent les professionnels confrontés à des patients en fin de vie (cf. « Ils m’ont montré que je pouvais servir à quelque chose » : Romain, 25 ans, renonce à l’euthanasie). Le militant de l’ADMD semble dire qu’avec une loi sur l’« aide à mourir », il n’y aura aucune incertitude semblable.

Pourtant, en lisant le texte de la proposition de loi, on ne trouve aucune garantie d’une expression ferme de la volonté de mourir : « La personne qui souhaite accéder à l’aide à mourir en fait la demande écrite ou par tout autre mode d’expression adapté à ses capacités à un médecin en activité (…) ». Un désir de mort exprimé oralement, une fois, à un médecin en face à face et sans témoin pourra être considéré comme une demande d’« aide à mourir ». Le cas de Louis Jouny n’est pas différent de ce que prévoit le texte de loi en discussion actuellement.

Aucune disposition pour protéger les personnes vulnérables

L’avocat de la victime déplore son isolement, son état déprimé sûrement en grande partie lié à son âge. Il a pu être influencé par le couple qui l’a dépouillé tout en l’incitant au suicide. Une loi sur l’« aide à mourir » protégera-t-elle les personnes vulnérables de l’emprise de leur entourage ? Que cet entourage malveillant agisse pour des raisons crapuleuses, comme dans le cas de Louis Jouny, ou pour d’autres motifs ?

A vrai dire, rien dans le texte de loi n’est prévu pour protéger les patients d’une éventuelle emprise ou d’une incitation au suicide de la part de l’entourage ou du personnel soignant. Il n’est prévu aucun « délit d’incitation » (cf. Double peine pour le délit d’entrave, absence de délit d’incitation : les députés concluent l’examen de la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir »). Si un patient est considéré par la loi comme éligible à l’« aide à mourir », alors il sera possible de l’inciter à demander une euthanasie ou un suicide assisté, aucune pression psychologique dans ce sens ne pourra être considérée comme contraire à la loi. Au contraire, le texte prévoit un « délit d’entrave », défini entre autres par le fait d’exercer « des pressions morales ou psychologiques (sur) des patients souhaitant recourir à l’aide à mourir ». Parler à un proche pour essayer de le dissuader d’avoir recours à une euthanasie pourra être considéré comme un délit.

Les tenants et aboutissants de l’affaire Louis Jouny sont encore incertains. Quoi qu’il en soit, s’il était avéré que le patient a été victime d’un empoisonnement avec préméditation, ce crime n’aurait certainement pas été évité par le truchement d’une « loi relative au droit à l’aide à mourir ».

[1] La Nouvelle République, Euthanasie d’un homme de 82 ans à Tours : injections létales, sommes d’argent… les coulisses du dossier criminel , Julien Coquet (09/10/2025)

[2] La Nouvelle République, Euthanasie d’un homme de 82 ans à Tours : pour ses proches, « il a été dépouillé et empoisonné », Julien Coquet (09/10/2025)

[3] La Nouvelle République, Euthanasie d’un homme de 82 ans à Tours : « Ces actes doivent s’inscrire dans une loi », Julien Coquet (09/10/2025)

[4] La Nouvelle République, Euthanasie d’un homme de 82 ans à Tours : « cadeaux » et « mouvements bancaires suspects » au cœur d’un premier procès, Julien Coquet (09/10/2025)

[5] La Nouvelle République, Euthanasie d’un homme de 82 ans à Tours : le médecin « avait pour unique volonté de porter secours à son patient, Julien Coquet (09/10/2025)

[6] La Nouvelle République, Euthanasie d’un homme de 82 ans à Tours : pour ses proches, « il a été dépouillé et empoisonné », Julien Coquet (09/10/2025)

[7] La Nouvelle République, Euthanasie d’un homme de 82 ans à Tours : « Ces actes doivent s’inscrire dans une loi », Julien Coquet (09/10/2025)