Les cellules iPS : pour le meilleur mais aussi pour le pire ?

Publié le 6 octobre 2025
Les cellules iPS : pour le meilleur mais aussi pour le pire ?
© istock - Bevan Goldswain

Les cellules souches pluripotentes induites (iPS) ont la capacité de se multiplier et de se différencier en différents types cellulaires. Obtenues à partir de cellules adultes, elles sont une alternative éthique à l’utilisation des cellules souches embryonnaires humaines (cf. Thérapie cellulaire contre le diabète : les CSEh sous les projecteurs, les iPS passées sous silence ; Maladie de Parkinson, diabète : les CSEh en compétition avec les iPS ?). Lors des deuxièmes rencontres de la biomédecine qui se sont tenues à Paris les 2 et 3 octobre derniers, elles ont été évoquées à plusieurs reprises[1].

Les iPS pour soigner

Plus de 1 200 patients ont été traités avec ces cellules dans le cadre de 115 essais cliniques à travers le monde. Ainsi, plus de 100 milliards de cellules iPS ont été administrées[2]. D’après la base de données hPSCreg®, sur les 8 436 lignées de cellules pluripotentes humaines que l’on recense dans le monde entier, on dénombrait 7 333 lignées d’iPS au 31 janvier dernier[3].

D’après une autre revue des essais cliniques parue dans le journal Cell Stem Cell au début de l’année, sur 116 essais cliniques recensés, 57 % avaient recours à des cellules iPS. La très grande majorité étant en phase I ou I/II[4].

Les traitements qui recourent aux cellules iPS permettent de contourner le système immunitaire : soit parce qu’il s’agit d’une greffe autologue avec les propres cellules du patient, soit via le recours à des haplobanques[5].

Des initiatives à différents niveaux visent à développer des banques d’iPS allogéniques compatibles avec la majorité de la population. Laurence Guyonneau-Harmand, chercheur au sein de l’Etablissement du Sang d’Ile de France, a présenté des travaux visant à obtenir des cellules de moelle osseuse.

Les iPS pour comprendre

Les cellules iPS sont par ailleurs largement mises à contribution pour développer des « organoïdes », des structures 3D « mimant » les fonctions de divers organes.

Quand il s’agit de foie ou de poumon, ces organoïdes permettent d’étudier des infections ou encore de cribler des médicaments, dans une optique qui peut être celle de la médecine personnalisée. S’il s’agit d’organoïdes cérébraux, les questions éthiques se font plus délicates (cf. Organoïdes : voie prometteuse pour la recherche ou précipice éthique ?). Et il peut aussi s’agir de « mimer » le développement humain.

Dans le cadre de sa présentation relative aux organoïdes trophoblastiques[6], le Pr Sophie Brouillet, chef de service du laboratoire de Biologie de la Reproduction-DPI-CECOS du CHU/Université de Montpellier, évoque les blastoïdes, des « modèles embryonnaires » obtenus sans passer par la fécondation, reproduisant un embryon au stade de blastocyste, environ 7 jours après la fusion des gamètes. Evoquant les travaux du Pr Thomas Fréour et Dr Laurent David du CHU de Nantes, elle assure : les modèles sont tellement « parfaits » qu’on est « incapable » de distinguer sur deux photos entre celle qui correspond à un embryon et celle du blastoïde. D’ailleurs, contrairement à ce qui est régulièrement affirmé pour tenter de rassurer, elle rappelle qu’« en théorie », si on implante un blastoïde dans un utérus, « potentiellement ça peut donner un bébé plus tard » (cf. Des « modèles embryonnaires » plus difficiles à distinguer : l’ISSCR actualise ses recommandations ; Embryoïdes : l’ABM propose une « troisième voie » pour « encadrer » les recherches). « Il y a tous les éléments en tout cas pour pourvoir le faire », mais « évidemment c’est interdit ».

Et bientôt les iPS pour procréer ?

Ainsi, les iPS qui permettent une véritable alternative éthique à l’utilisation de cellules souches embryonnaires peuvent être détournées vers des usages dangereusement problématiques. Après les « modèles embryonnaires », dont les scientifiques veulent s’emparer pour repousser les limites légales de la recherche sur l’embryon humain, c’est désormais à la gamétogenèse in vitro (GIV[7]) d’occuper le devant de la scène (cf. Gamétogenèse in vitro : des cellules iPS amorcent une méiose hors du corps ; « Unibébés », « bébés multiplex », ou issus biologiquement de deux parents de même sexe : « Les gens ne se rendent peut-être pas compte de la rapidité avec laquelle la science évolue » ; Des start-ups dans la course aux gamètes artificiels). Le numéro 7 de la lettre de la biomédecine, publié la veille des rencontres, y est d’ailleurs consacré.

D’après le Dr Anu Bashamboo, responsable de groupe dans l’unité de génétique du développement humain à l’Institut Pasteur, il existe un consensus des chercheurs du domaine : d’ici 5 à 10 ans on pourra produire des gamètes en laboratoire[8].

D’ailleurs, la session consacrée à ce sujet par les rencontres de la biomédecine s’est focalisée sur les problématiques sociétales. Pour le Dr Anne Le Goff, enseignant-chercheur dans le pôle des biotechnologies en société à SupBiotech, il existe « clairement » un besoin. Elle a interrogé des personnes confrontées à l’infertilité ou issues de la « communauté LGBTQ+ » : deux types d’« usagers potentiels ». En effet, « la GIV pourrait devenir la première technologie inclusive qui permettrait à une personne transgenre de produire un gamète qui reflète son genre plutôt que son sexe à la naissance, et à un couple de même sexe d’avoir un enfant qui soit biologiquement lié à ses deux parents », peut-on lire dans la lettre de la biomédecine.

Une étape de plus pour une procréation totalement hors du corps

La gamétogenèse in vitro révèle en creux les difficultés des parcours de PMA : une femme interrogée par le Dr Anne Le Goff affirme ainsi qu’elle « préfère largement une biopsie que d’aller faire des examens cinq fois par semaine, et [s]’injecter des hormones trois fois par jour »[9];. Le procédé pousse la technicisation de la procréation encore plus loin. La FIV a déplacé la fécondation hors du corps (cf. Vers la ‘production’ d’enfants nés de deux pères) ; la gamétogenèse in vitro va jusqu’à extraire du corps l’étape précédente, la fabrication des gamètes.

C’est ce qui ferait l’intérêt de la technique. La chercheuse considère que le cap a déjà été franchi avec la fécondation in vitro, il s’agit « simplement » d’un pas de plus. Le Pr Nicolas Gatimel, biologiste au Laboratoire d’Assistance Médicale à la Procréation du CHU Toulouse, considère que ces travaux « sont indispensables » dans un contexte de recherche, mais se dit « assez surpris » du débat sur leur utilisation en AMP « oui, non, bientôt ». Il souligne qu’il s’agit de « phases extrêmement critiques » au cours desquelles il y a des reprogrammations épigénétiques « très importantes » (cf. Epigénétique : jusqu’à quel point l’environnement nous influence). Cela représente un risque élevé pour les enfants qui seraient conçus ainsi[10].

Une simple question d’« encadrement » ?

Pourtant, ce qui semble principalement préoccuper les chercheurs en sciences sociales est le risque quant aux potentielles « inégalités d’accès » à la technique. Dans son éditorial de la lettre de la biomédecine consacrée au sujet, Claire de Vienne, médecin référent en AMP à l’ABM, reconnait que « l’objectif [de l’Agence de la biomédecine] est de fournir des éléments d’analyse susceptibles d’alimenter une réflexion nationale de fond, et de mettre en lumière la nécessité de penser son encadrement juridique lors de prochaines révisions de la loi de bioéthique ».

Une lettre qui se conclut par ces mots : « Si un jour, son efficacité et sa sécurité sont rigoureusement établies par des protocoles scientifiques transparents et reproductibles, le législateur devra être prêt. Il lui faudra adopter des lois à la fois claires, justes et protectrices, capables d’encadrer les usages de cette technologie sans générer de nouvelles formes d’exclusion ou de souffrance. Il ne s’agira pas seulement d’autoriser ou d’interdire, mais de penser collectivement un usage éthique et solidaire de la GIV, en gardant au cœur des décisions l’intérêt premier des individus concernés, en particulier celui des enfants à naître ». La ligne de l’ABM est déjà tracée : il s’agira d’« encadrer » (cf. 30 ans de lois de bioéthique : « changeons la règle pour rester en règle »).

Lors la conférence de clôture, le Pr Alain Fischer, professeur d’immunologie et titulaire de la chaire de médecine expérimentale au Collège de France, déclarait au sujet de l’édition génétique d’embryons humains : « Fondamentalement on ne doit pas le faire ». Face à des techniques risquant de bouleverser la nature de l’être humain, quand bien même il existerait une « demande », ne faut-il pas en effet apprendre à s’abstenir ? (cf. Jacques Testart : « Croire que la science a réponse à tout, a raison sur tout, relève du dogmatisme »)

[1] Tous les ateliers seront mis en ligne à partir du 20 octobre sur la chaine Youtube de l’ABM

[2] Présentation du Dr Sergi QUEROL, director, Spanish Bone Marrow Donor Registry, Rencontres de la biomédecine (03/10/2025)

[3] Ibid.

[4] Présentation du Pr Frank GRISCELLI, professeur de Biothérapie à l’Université Paris Descartes, membre de l’équipe CiTHERA (Université Paris-Saclay) et co-fondateur Ipsirius, Rencontres de la biomédecine (03/10/2025)

[5] Le terme « haplobanque » vient de la combinaison des termes « haplotype » (ensemble de gènes positionnés à différents emplacements sur un même chromosome) et « banque cellulaire »

[6] Destinés à étudier le développement précoce du placenta. Ces études ont parfois recours à des placentas issus d’avortements.

[7] Notons que cette technologie dispose déjà de son acronyme

[8] Le Dr Anu Bashamboo travaille au développement d’organoïdes d’ovaires qui, entre autres applications, pourraient fournir une « plateforme pour la gamétogenèse in vitro ».

[9] Dans les échanges le Dr Le Goff souligne le « coût physique et psychologique » important de la PMA

[10] Il pointe qu’en raison des risques, l’« activation ovocytaire » est toujours interdite en France et que l’on s’interroge également sur les conséquence de la conservation « prolongée » des blastocyste (cf. Etats-Unis : naissance d’un bébé issu d’un embryon congelé en 1994).